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Sports et business

Thierry Granturco à la BBC : «Une mauvaise gouvernance de l’ensemble des acteurs concernés»

16 août 2016

L’athlète russe Darya Klishina, un certain temps privée de Jeux Olympiques, prendra finalement part ce mardi au concours du saut en longueur à Rio. A cette occasion, Thierry Granturco, spécialiste du droit du sport, a précisé à la BBC Afrique les méandres de cette décision. Il a aussi rappelé l’intransigeance adoptée par le Comité International Paralympique qui a pour sa part exclu tous les athlètes russes. Enfin, il a donné quelques clés pour expliquer les problèmes de gouvernance de la part des différentes instances concernées, qui ont mené à cette situation insoutenable.

« Darya Klishina a d’abord été récupérée par la fédération internationale d’athlétisme comme étant la seule athlète russe à pouvoir concourir parce qu’elle habite et s’entraîne aux Etats-Unis depuis 2013, et qu’elle était a priori non soumise à la politique de dopage mise en place en Russie. Sauf que, la fédération internationale d’athlétisme a eu vent de quelques informations supplémentaires du professeur McLaren qui l’a amené à reconsidérer sa position. Une position reconsidérée que le Tribunal d’Arbitrage du Sport rejette. Donc c’est juste Kafkaïen. »

« Il faut voir qu’il y a une grande différence entre le CIO (Comité International Olympique) et le CIP (Comité International Paralympique) puisque le CIO n’a pas banni la Russie. Il a via les fédérations internationales suspendu des athlètes individuellement alors que le CIP a pris une décision collective. Il a exclu la Russie et donc tous ses athlètes paralympiques. Si vous voulez, le comité paralympique a eu le courage politique de prendre la décision que le CIO lui n’a pas eu le courage de prendre. »

BBC : En Russie, on parle d’une décision qui est politiquement motivée, est-ce que ce développement ne conforte pas la position de la Russie ?

« Non je ne pense pas. En tout cas s’il y a une politisation du dossier, c’est d’abord en Russie qu’elle se trouve. Si on en croit le rapport du professeur McLaren, professeur de droit canadien nommé par l’Agence Mondiale Antidopage, il met en exergue le fait qu’il s’agisse finalement d’un système politique de dopage qui a été mis en place en Russie. Quand on parle du ministre des sports russe comme étant celui qui a organisé et couvert ce système-là, je pense qu’on est pas loin de dire, ou alors on évite de dire que Vladimir Poutine était au courant de ce système. Le CIP dit avoir trouvé dans le rapport McLaren des faits accablants. Et par conséquent, le dopage étant systématisé, étant érigé en politique, il ne voit pas comment accueillir des athlètes paralympiques. Par conséquent il a décidé de tous les exclure. »

« Ce qu’on constate derrière tout cela, c’est qu’il y a une extrême mauvaise gouvernance de l’ensemble des acteurs du sport concernés. Et là on ne parle plus de la Russie, mais on parle du CIO, on parle de la fédération internationale d’athlétisme pour ce qui relève de Darya Klishina, et on parle aussi de l’agence mondiale antidopage. Les faits qui sont reprochés à la Russie étaient quand même connus, tout du moins suspectés depuis un certain nombre de mois si pas d’années. Attendre quelques semaines seulement avant le début des JO pour lancer une enquête, ce n’est quand même pas très sérieux. Et quand l’enquête aboutit à la recommandation d’exclure la Russie, et que le CIO ne suit pas cette recommandation, en transférant la responsabilité de la décision aux fédérations internationales, on se rend bien compte que le système complet des décisions, le système complet des gouvernances, mène à des absurdités telles qu’on le voit avec le cas de Darya Klishina. C’est mal géré, c’est mal décidé. On se rend compte que selon qu’on ait à faire au CIO ou au CIP, on arrive à des décisions différentes pour des mêmes faits. »

BBC : Qu’est-ce qui peut expliquer ce manque de cohérence entre les acteurs ?

« Selon moi vous avez deux problèmes au sein de ces organisations. Le premier c’est que pour être compétentes, il faudrait qu’elles soient formées de dirigeants compétents. C’est très peu souvent le cas parce que siègent dans ces organisations des représentants des fédérations nationales qui eux-mêmes viennent du monde associatif, ce qui fait qu’ils ont une compétence sportive non discutée, mais ils ont une compétence de gestion, une compétence économique, juridique, managériale, … qui est souvent quasi inexistante. En plus, ces représentants se retrouvent à devoir appliquer des règles qui sont souvent complètement dépassées en terme de gouvernance. On le voit encore dans ces JO. On ne sait plus qui décide quoi, quand, comment, et même lorsqu’on a des recours on est bien souvent en difficulté pour en comprendre le sens. »

BBC : Risque-t-on d’avoir de nouveaux problèmes dans les compétitions dans les prochaines années s’il n’y a pas de changement ?

« Maintenant, le monde sportif va beaucoup trop vite pour les organisations qui les gèrent. Il y a d’ailleurs toute une série de sports qui sont devenus très clairement professionnels et qui aujourd’hui évoluent dans un monde économique, juridique, financier, qui est complètement déconnecté des fédérations qu’elles soient nationales ou internationales. Et on a d’autres sports qui émergent, qui sont encore aujourd’hui relativement peu médiatisés mais qui pour autant évoluent à vitesse grand V, et qui commencent à prendre un certain décalage avec leurs fédérations qui sont souvent incapables de suivre. Il y a des règlements qui s’appliquent alors qu’ils ont été adoptés dans les années 50 ou 60. Ce n’est plus possible. On connaitra ce genre de problèmes tant que les fédérations internationales n’auront pas compris qu’elles doivent professionnaliser leur recrutement pour ce qui relève de leurs représentants, et qu’elles doivent adapter leurs règles au fonctionnement des sports qu’elles sont censées administrer aujourd’hui. »

 

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