SPORT – Comme elle en est coutumière, l’Union des Clubs Professionnels Français (UCPF) a publié lundi dernier son “Baromètre Foot Pro 2014” qui analyse les chiffres clés du football français à l’issue de la saison 2012/13.
Ce baromètre pourrait laisser à penser que l’économie du football français est en sensible progression, tirée par le haut par le PSG. Tel n’est pas le cas. Loin s’en faut.
Une croissance en trompe l’œil…
Il est vrai que ce Baromètre nous permet dans un premier temps d’observer que le chiffre d’affaires direct (activité des clubs) et indirect (BTP, paris en ligne, médias,…) généré par le football professionnel a crû de quelques 30,3% entre 2009 et 2013. Ce constat se voudrait d’autant plus impressionnant que le PIB national ne progressait, sur la même période, que de 4,7% en volume.
Cette croissance s’est de surcroît accompagnée d’une augmentation du nombre d’emplois dans la filière puisque celui-ci est passé d’un total de 24556 en 2009 à un total de 26107 en 2013, marquant une évolution de 6% là ou plus généralement la création d’emplois ne croissait sur le territoire français et sur la même période, que de 1,3%.
Ces chiffres s’expliquent principalement par le fait que les droits TV du football français ont augmenté de 7,1% entre 2009 et 2013, que le sponsoring a augmenté de 0,4% sur la même période et que les produits divers, liés principalement à la construction de nouveaux stades en vue de la préparation de l’Euro 2016, ont quant à eux explosé de 110,3%.
Si on rajoute à cela que le chiffre d’affaires généré par les médias digitaux et les paris en ligne a quasiment doublé, nous pourrions presque en conclure que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors pourquoi ce pessimisme ambiant dans le football français? Pourquoi tout ne va pas aussi bien que cette litanie de chiffres pourrait nous le laisser penser?
…qui masque un déclin continu du football français
Tout d’abord parce que le PSG a quasiment quadruplé son chiffre d’affaires entre 2009 et 2013 pour le porter à quelques 400 millions d’euros. Devenu en quelques années le cinquième club le plus riche du monde, le PSG a ainsi généré à lui seul 27% du total du chiffre d’affaires réalisé par les 44 clubs professionnels français au cours de la saison 2012/13.
Cette domination économique du PSG masque en effet une réalité bien plus alarmante. Car si on exclut le club parisien des calculs effectués, on constate alors que le chiffre d’affaires des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 a connu une baisse de 3,7%.
Par ailleurs, les contributions fiscales et sociales liées aux activités des clubs de football professionnels français se seront élevées en 2013 à 1,54 milliard d’euros, révélant une augmentation de 40% par rapport à celles payées en 2009. Parallèlement, les collectivités locales auront baissé leurs subventions aux clubs de Ligue 1 et Ligue 2 de 26% entre 2007 et 2013.
Bref, l’UCPF n’est pas dupe et a une vue précise et réaliste de la situation des clubs professionnels français. Et elle a raison de s’en inquiéter.
Le modèle du football professionnel français est totalement déséquilibré
L’UCPF a fait montre dans son “Baromètre Foot Pro 2014” d’une approche très didactique. Comme si finalement, elle voulait qu’une fois pour toute, les dirigeants politiques français comprennent bien les conséquences de la situation économique actuelle des clubs professionnels sur leurs performances.
Dans un premier temps, l’UCPF explique, si besoin était, que l’objectif premier de ces clubs est d’obtenir les meilleurs résultats sportifs possibles. Pour cela, il leur faut aligner des joueurs capables de réaliser les performances attendues. Ces joueurs peuvent provenir soit de leurs centres de formation, soit, si les clubs en ont la capacité financière, être recrutés chez des concurrents.
Dans tous les cas, conserver ou acquérir des talents à un prix. Et ce prix est principalement lié aux salaires à leur verser. Or, l’UCPF le clame haut et fort depuis des années: “il est clairement établi que les clubs professionnels français subissent un handicap concurrentiel significatif, lié au coût du travail en France et notamment au poids des charges patronales”. Et pour le prouver, elle met en avant un exemple frappant qui consiste à mettre en lumière que dans l’hypothèse d’un salaire annuel de 1,8 million d’euros, la part patronale des charges sociales représenterait 504.000 euros en France, 247.000 euros en Angleterre, 34.000 euros en Italie, 14.000 euros en Espagne et 12.000 euros en Allemagne.
En d’autres termes, attendre des clubs professionnels français qu’ils produisent durablement des performances de haut niveau sur la scène européenne est, sauf exception du PSG, une gageure. Car ils luttent effectivement dans un secteur fortement compétitif au sein duquel les règles de concurrence sont clairement viciées.
Et c’est là que la démonstration prend tout son sens. Car dans ce secteur économique, les ressources financières sont fortement dépendantes…des résultats sportifs!
Ainsi par exemple, 30% du montant des droits TV reversés chaque année aux clubs professionnels en France, sont dépendants des performances sportives. Comme 20% sont liés à la notoriété des clubs et que cette notoriété s’acquiert principalement grâce aux résultats sportifs obtenus, on aura compris que c’est quasi 50% du montant de ces droits TV qui dépendent de la capacité des clubs à obtenir de bons résultats en compétition.
De même, plus le club a de bons résultats, plus il attirera de sponsors et plus ces recettes de matches seront importantes.
Les clubs courant logiquement après les résultats sportifs pour tenter d’engranger les revenus qui les accompagnent, ils terminent souvent leurs exercices comptables en déficit opérationnel. Et que font-ils pour équilibrer leurs comptes ? Ils vendent leurs meilleurs joueurs !
Ainsi, sur la saison 2012/13, objet de l’analyse de l’UCPF, le déficit opérationnel global des 44 clubs professionnels français était de 295 millions d’euros. Il fut ramené à 75 millions d’euros grâce à la vente de joueurs de talent pour 220 millions d’euros.
Pour finir, et comme si cela ne suffisait pas, les clubs français étant peu compétitifs, le nombre de places qui leur est attribué dans les compétitions européennes a tendance à diminuer au profit de clubs d’autres championnats dont les résultats sont plus probants. Et comme ces compétitions sont fortement rémunératrices, ce sont encore des moyens financiers qui viennent renforcer des clubs étrangers au détriment des clubs de l’Hexagone.
La boucle du déclin infernal du football français est alors bouclée. En effet, moins un club a de moyens financiers, moins ses résultats sportifs sont bons. Et moins ses résultats sportifs sont bons, moins il a de moyens financiers.
Quelles sont les solutions?
Pour remédier à cette situation, des solutions ont été identifiées. Elles consisteraient dans un premier temps à permettre une fiscalisation des footballeurs professionnels différente des salariés ordinaires.
Partant du principe que la France ne chamboulera pas son système social et fiscal pour s’adapter aux contraintes économiques de son football professionnel, il pourrait faire sens d’essayer de trouver des solutions particulières aux problèmes particuliers posés par l’activité des sportifs de haut niveau.
Ceux-ci bénéficiant en effet de revenus extrêmement élevés sur une période de vie extrêmement courte, l’imposition de leurs salaires pourrait par exemple être étalée sur une période de vie beaucoup plus longue que celle de leur carrière sportive et ainsi être lissée dans le temps. Il pourrait conséquemment en être de même des cotisations sociales liées à ces salaires, de telle sorte que les clubs français pourraient finalement être à armes plus ou moins égales avec leurs concurrents étrangers lorsqu’il s’agirait de conserver ou d’attirer des talents.
Par ailleurs et pour ce qui concerne leurs recettes, il faudrait permettre aux clubs de devenir propriétaires de leurs stades, dont ils pourraient alors tirer des revenus non seulement les jours de matches, mais également en dehors de toutes compétitions. En Allemagne, les clubs de football tirent ainsi de leurs seuls stades plus de recettes (1,398 milliard) que les clubs français, toutes recettes confondues (1,297 milliard). Et alors que les droits TV sont en Allemagne moins importants que ceux versés en France (620 millions d’euros contre 632 millions d’euros), la quasi-totalité des clubs allemands font des bénéfices.
Finalement, et de manière générale, il faut que l’Etat et la FFF permettent aux clubs français de pouvoir agir comme de vraies sociétés commerciales. Ils devraient pouvoir s’endetter librement pour pouvoir investir, notamment dans leurs stades, sans craindre les foudres de la Direction Nationale de Contrôle et de Gestion (DNCG) dont le rôle devrait être limité à un contrôle de la trésorerie des clubs et non de leurs fondamentaux bilantaires.
Ils devraient par ailleurs, comme en Angleterre, travailler sur leur gouvernance pour la rendre réellement professionnelle et ne plus la confier à des responsables dévoués et passionnés, mais venant parfois du monde associatif et non préparés aux défis du football professionnel moderne.
Bref, des solutions existent. Mais elles nécessitent du courage. Car c’est d’une véritable révolution dont nous parlons.
Or, quand on consulte le récent rapport de MM. Dréossi et Saint-Sernin visant à rendre la Ligue 1 plus attractive et qu’on lit qu’ils se limitent à dire qu’il faudrait revoir le système de montées et descentes, à encadrer la masse salariale en Ligue 2, à adapter l’aide à la relégation des clubs de Ligue 1 en Ligue 2 et à supprimer les terrains synthétiques (sic !), nous avons malheureusement peu de raison d’être optimiste quant à la capacité du football français à se réformer.
Heureusement diront certains, le PSG est là pour nous faire rêver. Mais malheureusement, le PSG est aussi, pour l’instant, l’arbre qui nous empêche de voir la forêt. Alors comme on dit sur les terrains de football, levons les yeux du ballon et gardons la tête bien levée. Il en va de l’avenir du football français.
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