“La France n’aurait pas eu l’Euro 2016 si elle n’avait pas défiscalisé l’UEFA”. M. Kanner, Ministre des Sports, justifie ainsi le cadeau fiscal fait à l’UEFA.
Et il a raison puisque la défiscalisation des recettes de l’UEFA, estimées à 900 millions d’euros, faisait partie intégrante du cahier des charges soumis aux Etats candidats à l’organisation de cet événement. La France n’avait donc pas d’autre solution que d’accepter ou refuser cette défiscalisation. Elle en a accepté les conditions et elle a eu raison. Pour le football français bien plus que pour l’économie de notre pays.
Au niveau économique
Les chiffres communiqués jusqu’ici pour ce qui relève des dépenses seront sans nul doute dépassés. Ont ainsi déjà été engagés, à la date d’aujourd’hui, 1,6 milliard d’euros pour la rénovation de certains stades et 400 millions d’euros pour l’aménagement des accès, soit un total de quelques 2 milliards d’euros. Le Ministre des Sports ne chiffre cependant pas les coûts d’organisation de la compétition une fois que celle-ci débutera. Or, on n’accueille pas quelques 5 millions de visiteurs sans mettre lourdement la main au portefeuilles.
En étudiant les chiffres des compétitions précédentes et plus particulièrement de celles s’étant déroulées respectivement en 2008 (organisée conjointement par l’Autriche et la Suisse) et en 2012 (organisée conjointement par la Pologne et l’Ukraine), il est possible de considérer que le coût total des dépenses – si elles sont maitrisées – se situera en France dans une fourchette de 3,5 à 4 milliards d’euros.
Or, M. Kanner estime que les recettes atteindront un total de 2,5 à 3 milliards d’euros et concerneront essentiellement les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et des transports. On est donc loin des 8 milliards d’euros que la Ligue de Football Professionnelle (LFP) avançait en 2009, probablement pour convaincre les autorités publiques du bien-fondé économique d’une candidature de la France pour l’Euro 2016.
On aura donc compris sans même utiliser notre calculatrice, que l’Euro 2016 générera des pertes sèches pour la France. Les 20 millions d’euros que l’UEFA reversera aux villes-hôtes, les 23 millions qu’elle paiera en location des stades pour les 51 matches de l’Euro 2016 et les 20 millions qu’elle versera à la Fédération Française de Football (FFF) en faveur du football amateur, ne changeront rien à cet état de fait.
Nous pouvons cependant aisément comprendre que M. Kanner puisse être gêné de devoir expliquer que la France s’engage indubitablement dans des dépenses que certains pourront qualifier de somptuaires à un moment où les Français pourraient s’attendre à d’autres priorités dans les dépenses publiques de l’Etat et des collectivités territoriales.
Au niveau social
Par ailleurs, bien que les différents intervenants sur le dossier de l’Euro 2016 s’essayent à un optimisme qu’ils souhaiteraient communicatif, seuls 4.000 des 20.000 emplois que le Ministre des Sports espère voir cet évènement générer, survivront à l’Euro 2016.
Certes, 4 .000 emplois c’est toujours cela de pris. Mais eu égard à l’investissement public nécessaire pour les créer, il est permis de penser que les sommes ainsi investies auraient été mieux utiliser à d’autres fins. Y compris en termes de création d’emplois.
Au niveau de l’image de la France
Il est cependant vrai qu’il ne faut pas occulter le fait que la France, outre les quelques 5 millions de visiteurs qu’elle accueillera grâce à cette compétition, sera également sous les feux de l’actualité un peu partout dans le monde, puisque ce seront au total quelques 2 milliards de téléspectateurs qui suivront l’Euro 2016 sur leurs petits écrans.
Mais la France attirera-t-elle pour autant plus de touristes et d’investisseurs à partir de 2017, sous prétexte qu’elle aura organisé l’Euro l’année précédente? Aucune des études post ante réalisées après les compétitions majeures de football de ces dernières décennies, qu’il s’agisse des coupes du monde ou des championnats d’Europe des nations (les « Euros ») ne permet de soutenir une telle idée.
Bref, soyons clairs : l’Euro 2016 n’est pas une initiative économique, une entreprise commerciale ou une opération financière. Il est vain d’essayer de le faire croire. C’est d’abord un acte politique par lequel la France souhaite se repositionner au centre de l’attention mondiale pendant quelques semaines.
Mais cela pourrait également être, pour le football français, un fabuleux accélérateur de performances.
Et le football français dans tout cela ?
Le modèle économique du football hexagonal est effectivement en grande partie dépassé. Fortement dépendant des droits TV (à hauteur moyenne de 55 % en France contre de 35 à 40 % dans les championnats anglais, allemand ou espagnol), les revenus tirés de leurs stades sont nettement moindre que ceux de leurs grands concurrents européens.
Les stades français sont en règle générale plus vieux, plus petits et moins bien agencés que ceux que nous trouvons chez nos grands voisins européens.
Leur taux de remplissage est également inférieur à tous les grands championnats européens, à l’exception du Calcio italien.
De surcroît, mis à part Ajaccio et Auxerre aujourd’hui et Lyon demain, aucun club français n’est propriétaire de son enceinte.
L’Euro 2016 ne règlera bien entendu pas tous les problèmes du football français. Mais il aura au moins le mérite de rénover plusieurs des enceintes au sein desquelles nos plus grands clubs évoluent.
A eux demain de savoir les commercialiser intelligemment et d’en tirer des revenus supérieurs à ceux dont ils bénéficient aujourd’hui.
A eux ensuite d’utiliser ces revenus pour renforcer leurs équipes et les rendre sportivement plus performantes.
Et à eux au final d’utiliser ces résultats sportifs pour engranger plus de revenus qu’ils n’en ont aujourd’hui et pour s’installer dans un cercle économique et financier plus vertueux que celui que nous connaissons aujourd’hui.
Donc oui, organiser l’Euro 2016 peut être bénéfique pour le football français.
Mais pas pour l ‘économie de la France.
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