SPORT – Le football français a connu hier un de ces soubresauts dont il a seul le secret. Le tribunal administratif de Besançon a considéré l’accession du Racing Club de Lens en Ligue 1, en juillet 2014, comme étant illégale.
Pour bien comprendre cette décision, il faut essayer de rendre intelligible un système qui a fait de l’inintelligibilité sa règle générale.
Le football français est une économie dirigée
Le dirigisme est un système politique dans lequel l’Etat intervient de manière systématique et autoritaire dans l’économie. Il y exerce un pouvoir d’orientation ou de décision, sans toutefois sortir du cadre de l’économie capitaliste. Les termes généralement associés au dirigisme sont d’ailleurs outre autoritarisme, colbertisme, étatisme et interventionnisme.
Et c’est bien de cela dont il s’agit dans le football français. La loi prévoit en effet que chaque fédération sportive disposant d’une ligue professionnelle a l’obligation de créer un organisme assurant le contrôle juridique et financier des associations et sociétés sportives, en d’autres termes des clubs (article L 132-2 du Code du sport).
Pour ce qui relève du football, la Fédération Française de Football (FFF) a donc créé la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG). Sa mission est de vérifier que les clubs répondent aux conditions économiques fixées par les règlements. Ce faisant, elle doit donc principalement veiller à ce que le club qui commence un championnat ait la capacité financière de le terminer et éviter ainsi que le championnat ne soit faussé par un dépôt de bilan.
Le système pourrait théoriquement fonctionner. Mais tel n’est pas le cas.
Le football français est une économie à tous points de vue mal dirigée
Premièrement parce que comme nous l’avons déjà expliqué plus complètement dans ces mêmes colonnes, la DNCG a progressivement dévié de son rôle premier. Elle ne vise en effet plus seulement à s’assurer que les clubs qui s’engagent en championnat ont les moyens de le terminer, mais elle rejette également leurs déséquilibres de fonds propres et leurs pertes comptables. Alors même que rien n’empêche un club d’être en pertes et pourtant d’assurer la pérennité de son engagement dans un championnat.
La FFF, la Ligue de Football Professionnel (LFP) et la DNCG s’immiscent donc dans la gestion des clubs de football professionnels, probablement convaincues qu’elles servent l’intérêt général du football français.
Or tel n’est pas le cas, et nous en avons pour preuve que les clubs français sont ceux qui connaissent, en Europe, le plus grand nombre de faillites. De surcroît, notre football se fait progressivement mais très sûrement distancé par un certain nombre d’autres footballs nationaux. Et c’est l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) elle-même qui le dit dans son rapport de novembre 2014 intitulé, pour ceux qui seraient encore dans le déni, « Le décrochage ».
FFF, LFP, DNCG : « milieux autorisés qui se réunissent pour s’autoriser des trucs »
Deuxièmement, parce que le dirigisme étant un système éminemment autoritariste, il ne pourrait éventuellement être accepté par ceux qui le subissent que s’il apparaissait juste et impartial. Or, encore une fois, tel n’est pas le cas.
Il n’est pas juste car il bafoue les principes fondamentaux érigés par de nombreuses autorités sportives, en ce compris l’Union des Associations Européennes de Football (UEFA) elle-même, selon lesquels le football doit être un sport avant d’être une activité économique et que, dès lors, le sportif doit pouvoir primer sur l’administratif.
Mais le système n’est pas seulement injuste. Il est également partial. Car ce qui est autorisé pour l’un peut parfois être sans vergogne refusé à l’autre.
L’histoire des championnats de France de Ligues 1, 2 et 3 foisonnent d’exemples de décisions arbitraires, prises dans des enceintes hermétiques ou des représentants autorisés s’autorisent des interprétations de textes frôlant parfois l’irresponsabilité.
Les dirigeants du football français se prennent les pieds dans le tapis durant l’été 2014
Dans le cas du Racing Club de Lens, la situation est suffisamment ubuesque pour illustrer nos propos. Lens avait terminé à la seconde place du championnat de Ligue 2. Il était donc a priori normal que les Lensois puissent accéder à la Ligue 1, puisque les résultats de la compétition validaient leur montée.
Toutefois, Lens eut comme tous les autres clubs à présenter ses comptes à la DNCG de la LFP afin de confirmer sa capacité à s’engager mais surtout, et comme nous l’aurons compris, à terminer le championnat de Ligue 1. Sauf que la DNCG refusa de les valider et conséquemment, de valider la montée des Lensois.
Sochaux, qui termina le championnat de Ligue 1 à la 18e place était alors virtuellement repêché conformément à l’article 511 du règlement des compétitions de la LFP.
Lens interjeta appel de cette décision devant la Commission d’appel de la DNCG, officiant sous la responsabilité de la FFF. Mais la décision de refus de ses comptes fut confirmée.
Le club lensois décida alors de saisir le Comité National Olympique Sportif Français (CNOSF) devant lequel il fit part de promesses de versements de fonds de son actionnaire principal, l’Azéri Hafiz Mammadov. De telle sorte que sur l’avis du CNOSF, la FFF puis la LFP infirmèrent les décisions de la DNCG et confirmèrent donc la montée de Lens en Ligue 1.
Surpris, M. Richard Olivier, président de la DNCG déclarait alors à L’Equipe le 12 août 2014 : « Lens ira t-il au bout de la saison ? Je ne le crois pas, malheureusement (…). Les faits nous ont toujours donné raison ».
Et M. Olivier pourrait fort bien avoir raison puisque les promesses de M. Mammadov sur la base desquelles l’accession de Lens en Ligue 1 fut confirmée, n’ont toujours pas été tenues à ce jour.
Dit autrement, la DNCG dont c’est le rôle, estimait que Lens pouvait mettre le championnat de Ligue 1 en danger, mais la LFP et la FFF confirmèrent néanmoins son accession. On a beau du coup ne plus rien comprendre au système mis en place, on peut toutefois conclure qu’après tout, le sportif aura peut-être primé sur l’administratif.
Sauf qu’en même temps, le club de Luzenac qui avait sportivement remporté le droit d’accéder à la Ligue 2 et dont la DNCG avait finalement validé les comptes, voyait quant à lui sa montée être refusée par la LFP sous prétexte que son stade n’était pas conforme aux règlements en vigueur. Ce qui fit dire le 18 août 2014 à Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux Sports, sur France Info, qu’il s’agissait d’une «hypocrisie de la Ligue qui empêche l’accession des amateurs au monde professionnel».
Bref, « des personnes autorisées s’étaient réunies pour s’autoriser des trucs ». Et il n’aura alors échappé à personne que la personnalité de Gervais Martel, président de Lens, ancien président de l’UCPF et proche des dirigeants de la LFP et de la FFF, aura été dans beaucoup dans les décisions prises concernant le club lensois.
Sochaux-Lens 1-0
Les dirigeants sochaliens ont cependant décidé de ne pas en rester là. Ils ont porté l’affaire devant le tribunal administratif de Besançon considérant que le Comité Exécutif de la FFF était incompétent pour infirmer les décisions de la DNCG, supposée être indépendante.
Sochaux avait été suivi dans cette argumentation par le Rapporteur public qui avait fait connaître son point de vue à ce sujet dès le 9 janvier dernier.
La décision du tribunal fut mise en délibéré et rendue hier. Lens n’aurait pas dû accéder à la Ligue 1 et Sochaux aurait dû y être maintenu.
Le club doubiste va dorénavant essayer d’obtenir de la FFF et de la LFP une indemnité financière qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions d’euros.
La FFF fera bien entendu appel de cette décision car une incertitude morbide pèse sur le devenir la saison 2014/15 du championnat de Ligue 1. S’il devait en effet être confirmé que Lens n’avait pas le droit d’y jouer, que faire des rencontres que le club pas-de-calaisiens aura jouées cette saison ? L’appel de la FFF sera selon toute vraisemblance suivi par celui du Racing Club de Lens.
Tribunal administratif de Besançon – FFF : 1-0
En tout état de cause, une conclusion peut déjà être tirée de cette décision du tribunal franc-comtois : la FFF, la LFP et le football français ont perdu la bataille.
Ils l’avaient déjà perdu l’été dernier en refusant à Luzenac la montée en Ligue 2. Ils l’avaient à un degré moindre perdu en permettant à Lens d’accéder à la Ligue 1 sur la base d’un dossier inacceptable en droit comme en faits et que les promesses non tenues de M. Mammadov mettent aujourd’hui au grand jour.
Mais ils ont également perdu parce que le système que M. Olivier, président de la DNCG, présente de manière obscurantiste comme étant « le meilleur système du monde », qui s’avère en réalité être dirigiste, autoritaire, partial et inhibiteur pour le développement du football français, vient d’imploser sous nos yeux. Quelle que pourra être la décision de la Cour Administrative d’appel à ce sujet.
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