Si Jérémy B. et Romain L. ont échappé au courroux de la justice française, les supporters viennent, à cause d’eux, de prendre un vrai gros coup de semonce devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Hier soir le verdict est donc tombé. Les deux ultras du PSG qui étaient jugés devant la Cour d’Assises de Paris pour la mort violente de Yann Lorence, le 28 février 2010, lui-même supporter du PSG, ont été l’un condamné à 3 ans de prison et l’autre relaxé.
Une sanction bien légère au regard de la gravité des faits.
Ce n’est bien entendu ni le lieu, ni le moment de se pencher sur l’enquête de police et la décision de la Cour d’Assises. On ne peut cependant qu’avoir de la compassion pour la famille et les proches de Yann Lorence qui ont perdu un parent ou un ami parce qu’un soir de match, Yann a voulu aller voir son équipe jouer. Nul doute qu’ils ne trouveront pas dans cette décision de justice, le moyen de commencer leur deuil.
Toutefois, hasard des calendriers, à Strasbourg et non à Paris, la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient tout juste de rendre un arrêt relatif à la dissolution des associations de supporters du PSG, “les Authentiks” et les “Supras Auteuil 91”. Pour rappel, cette dissolution avait été décidée par voie de décrets du Premier Ministre le 28 avril 2010, en réaction à la mort violente de Yann Lorence.
Il est rare que les autorités publiques interviennent pour dissoudre des associations. Ces décrets avaient donc à l’époque fait beaucoup de bruit. Mais ce bruit n’a pas trouvé de caisse de résonnance devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui vient donc de valider la décision du gouvernement français.
A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle
Dissoudre une association est une mesure exceptionnelle, parce que la liberté d’association est une liberté dite “fondamentale”. Et qu’elle est inscrite dans l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme, dont la violation est en règle générale sévèrement réprimandée.
Les Authentiks et les Supras Auteuil 91 n’entendaient donc pas rendre les armes sans combattre. Et ce combat là, ils le menèrent dans les prétoires.
Conformément à la loi, les associations furent informées de l’intention du gouvernement de les dissoudre. Elles furent ensuite entendues par la Commission nationale consultative de prévention des violences, mise en place par le législateur pour traiter de ces questions. Devant la gravité des faits, leur dissolution fut finalement prononcée.
Les décrets de dissolution furent attaqués une première fois devant le Conseil d’Etat, qui confirma leur validité.
Les Authentiks et les Supras Auteuil 91 décidèrent alors de se tourner vers la CEDH arguant que leurs dissolutions constituaient des mesures disproportionnées et attentatoires à leurs libertés d’association.
Que dit le droit ?
L’article 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif à la liberté de réunion et d’association stipule dans son alinéa 1 que : “Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts”.
Mais cette liberté n’est pas totale, puisque l’alinéa 2 de ce même article prévoit que : “L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. […]”.
Le législateur français a donc adopté la loi no 2006-784 du 5 juillet 2006 qui a rendu possible la dissolution par décret de toute association dont des membres ont commis des violences en réunion lors d’une manifestation sportive.
Et cette loi a introduit un article L. 332-18 dans le Code du sport qui, modifié plusieurs fois depuis lors, cible “des actes répétés ou un acte d’une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”.
De sorte que conformément à l’article 11.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la France a bel et bien introduit, par la loi, des restrictions à la liberté d’association dont les termes ne violent ni l’esprit, ni la lettre de la dite Convention.
Restait à savoir si son application aux faits discutés était proportionnée et légalement justifiée.
La CEDH tacle les supporters à la gorge
La Cour a d’abord relevé que la préfecture de police de Paris avait, préalablement à la dissolution des deux associations, adopté de nombreuses mesures individuelles d’interdiction de stade, sans que ces dernières ne donnent satisfaction.
Elle s’est ensuite penchée sur la possibilité qu’aurait eue le gouvernement de suspendre ces associations plutôt que de les dissoudre, pour conclure que les autorités nationales devaient pouvoir jouir, à cet égard, d’une marge d’appréciation.
En conclusion, dans un contexte d’incitation à la haine, de troubles à la sûreté publique et de nécessité de prévenir le crime et eu égard à l’extrême gravité des faits, la Cour a considéré les dissolutions comme étant légales et proportionnées.
Elle a ajouté, et les supporters apprécieront, que : “s’agissant d’associations dont le but est de promouvoir un club de football, la Cour admet qu’elles n’ont pas la même importance pour une démocratie qu’un parti politique et qu’en conséquence la rigueur avec laquelle il convient d’examiner la nécessité d’une restriction au droit d’association n’est pas la même”.
Par cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a confirmé sa jurisprudence et sa décision du 22 février 2011 par laquelle elle avait validé la dissolution des “Boulogne Boys”, une autre association de supporters du PSG.
Mais plus fondamentalement, elle adresse un message clair au monde du football : la liberté d’association est un droit fondamental, mais qui n’est pas sans limite. Et surtout pas pour les associations de supporters.
A cause de Jérémy B., qui a été condamné par la justice française à 3 ans de prison ferme pour les coups mortels portés à Yann Lorence, les supporters viennent de prendre un vrai coup de semonce devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est, en réalité, l’ensemble des supporters qui se retrouvent pointés du doigt. Et c’est très dommage.
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