L’une des conséquences inattendues du développement du « sport-business » est une nécessité accrue pour les gouvernements de réguler l’activité des grandes fédérations sportives. Pour faire cesser les scandales et sauver le sport de la criminalité organisée.
Par Thierry Granturco, avocat international, spécialisé en droit du sport.
Scandale sans précédent à la FIFA, corruption à l’IAAF, dopage d’Etat en Russie, détournement de fond au CONMEBOL, matches de foot, de tennis et même d’e-sports truqués, corruption au Brésil lors de la Coupe du monde de foot 2014 et des JO 2016, soupçons de fraude fiscale dans le foot anglais… Il ne se passe plus une semaine sans qu’une nouvelle affaire de corruption ou de dopage ne vienne salir une discipline sportive. Comment en est-on arrivé là ?
L’une des causes principales de ces dérives tient en trois mots et un principe : l’autonomie du sport. C’est ce principe qui permet aux dirigeants sportifs d’être indépendants du pouvoir politique et, dans une certaine mesure, du pouvoir judiciaire.
C’est cette autonomie qui a généré, chez eux, de très mauvaises habitudes. Les fédérations nationales et internationales sont gérées d’une manière défiant tous les principes de bonne gouvernance : non-respect des grands principes du droit, contrôle interne défaillant, contrôle externe complaisant, élections taillées sur mesure, mandats multiples… Certains patrons de fédérations sportives ont une longévité qu’on leur envie en Biélorussie ou en Corée du Nord.
Hier, on pouvait entendre le CIO affirmer avec force que « l’autonomie est une nécessité […] car elle garantit la préservation des valeurs du sport […], l’intégrité des compétitions, […] l’éducation des jeunes et la contribution au bien-être de tous […] contribuant ainsi à sa crédibilité et à sa légitimité » (1). Aujourd’hui, cette affirmation est remise en cause par les faits et se retrouve, du coup, contestée par le pouvoir judiciaire.
Du sport-business au sport-mafia
Il est une discipline qui est particulièrement concernée par cette dérive, par sa popularité planétaire et les changements drastiques qu’elle a subi au cours des vingt dernières années : le football.
Le football génère en France un chiffre d’affaires annuel de plus de 5 milliards d’euros, qui l’amène à verser des cotisations fiscales et sociales pour plus de 1,3 milliard d’euros. Il emploie, directement ou indirectement, plus de 25 000 personnes sur notre territoire. En d’autres termes, le football n’est pas qu’un sport. Ce n’est pas qu’un business. C’est une économie.
Les principaux acteurs de cette économie sont les clubs de football. Ces derniers sont dépendants des droits versés par les chaînes de télévision, qui retransmettent leurs compétitions. Les droits TV représentent, en moyenne, de 50 à 90% du budget des clubs de Ligue 1 et Ligue 2 hexagonaux. C’est en grande partie cette visibilité qui leur permet, par ailleurs, d’attirer les sponsors.
L’équation est donc simple et pourrait être illustrée par l’exemple suivant. Le club de X évolue en Ligue 1 lors de la saison 2016/17, avec un budget de 25 millions d’euros, dont 18 millions proviennent des droits TV, 3 millions du sponsoring, 2 millions de la billetterie – les recettes des matchs, 1 million des transferts de joueurs et 1 million d’autres produits.
Si X descend en Ligue 2, son budget passera de 25 millions d’euros à 12 millions d’euros puisque ses droits TV seront réduits à quelque 6 millions d’euros, son sponsoring à 1,5 million, et sa billetterie à 1 million. Il se séparera en catastrophe de joueurs pour 3 millions d’euros et conservera 0,5 million d’autres produits.
En faisant passer son budget de 25 millions d’euros en juin 2017 – pour la saison 2016/17 – à 12 millions en juillet 2017 – pour la saison 2017/18 -, la relégation du club X en Ligue 2 serait catastrophique.
A l’inverse, Y qui connaîtrait une accession de Ligue 2 en Ligue 1 la même saison, verrait son budget plus que doubler grâce aux droits TV, à l’augmentation de ses recettes de sponsoring et à sa billetterie.
Devant de tels enjeux, on comprend que toutes les conditions sont réunies pour mettre les acteurs du football dans les conditions de vouloir… agir sur les résultats sportifs.
Des fédérations sportives dépassées
Le football français, qui a jadis connu de telles dérives, gère aujourd’hui très bien cette situation, même si l’affaire du match truqué Caen – Nîmes est toujours à l’instruction. Mais ce n’est pas le cas partout. Les championnats espagnol, italien et même norvégien ont fait face très récemment à une série de matchs truqués.
Ce bilan est aggravé par l’intérêt de la criminalité organisée pour le sport. Les paris sportifs facilitent le blanchiment d’argent. Les circuits du dopage se sont « professionnalisés ». Ils se rapprochent désormais de ceux de la drogue. Peut-on dès lors attendre des fédérations sportives qu’elles sachent faire face à cette criminalisation du sport ? Non.
Il est urgent que nos gouvernements, démocratiquement élus, se réapproprient la politique publique du sport.
Limitons le nombre de mandats des dirigeants sportifs. Exigeons des dirigeants des fédérations qu’ils soient de vrais gestionnaires. Renforçons les contrôles internes et externes. Refusons tout règlement et toute procédure interne des fédérations qui contreviendrait au droit en vigueur.
En résumé, sortons le sport de son isolement juridique et politique. Les enjeux sont devenus trop grands, à tous points de vue, pour laisser aux seules fédérations le soin de gérer le sport, son économie et les dérives qu’il engendre. Ne gérons plus le sport du XXIème siècle avec les méthodes du XXème siècle. Ce message, il appartient désormais au gouvernement, et en particulier au nouveau président français, Emmanuel Macron de l’entendre.
(1) Cité dans L’autonomie du sport, Jean-Loup Chappelet, Ed. Publishing Editions / Conseil de l’Europe, 2010, p.14
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