Les questions sont nombreuses: qui est responsable de cette situation? Qui doit indemniser les victimes? Les victimes peuvent-elles faire condamner le club et ses dirigeants?
29 blessés. C’est le bilan de l’effondrement d’une barrière d’une tribune du stade de la Licorne, à Amiens, samedi soir, lors de la 8ème journée du championnat de Ligue 1. Il a suffi d’un but, et l’enthousiasme des supporters lillois aura tout balayé sur son passage. Tout, y compris et surtout, certains spectateurs eux-mêmes.
Le pire a été évité, mais seulement de justesse. Le temps qui s’ouvre maintenant est celui des responsabilités. Celui de l’examen judiciaire et règlementaire. Car les questions sont nombreuses: qui est responsable de cette situation? Qui doit indemniser les victimes? Les victimes peuvent-elles faire condamner le club et ses dirigeants?
Oui, le club est responsable
Disons-le d’emblée, le SC Amiens avait bel et bien une obligation générale de sécurité samedi soir. Chaque club de football se doit, en effet, de disposer d’installations et d’équipements adaptés et en bon état. Chaque club se doit, aussi, d’employer un encadrement qualifié. Il doit prévenir toute violence, qu’elle soit physique ou verbale, à l’encontre du public et des participants.
Tout dommage qui résulterait d’un manquement à cette obligation générale de sécurité peut engager la responsabilité disciplinaire, civile et même pénale du club.
Les déclarations d’après-match du président du SC Amiens, Bernard Joannin, qui a tenté de rejeter la responsabilité de l’accident sur les supporters lillois, étaient aussi inutiles que malheureuses. Le club ne peut tout simplement pas fuir ses responsabilités.
Les spectateurs sont aussi des clients
En matière de responsabilité civile, tout d’abord, l’article 1231-1 du Code civil impose aux clubs en tant qu’organisateurs de manifestations sportives, une obligation générale de prudence et de diligence.
Il s’agit ici d’une obligation de moyens et d’une responsabilité dite “contractuelle” qui s’applique à l’égard des participants – joueurs et arbitres – et des spectateurs, que l’on considère en droit comme étant liés contractuellement au club organisateur du match. Acheter une place, c’est donc signer un contrat avec le club qui vous accueille.
Les spectateurs lillois étaient considérés comme des clients du SC Amiens. A ce titre, ils peuvent donc assigner le club amiénois et demander une réparation financière, s’ils estiment que le club n’a pas respecté ses obligations.
Quand les clients deviennent des victimes
Mais la responsabilité du club ne s’arrête pas là. Bien que plus difficile à mettre en œuvre, la responsabilité pénale du club peut également être engagée, en cas de décès ou de dommages corporels causés à un spectateur ou à un participant.
Selon l’article 121-2 du Code pénal, il faut pour cela que le club ait organisé un match dans des conditions de sécurité manifestement insuffisantes, de sorte que les faits à l’origine du dommage n’ont pas pu être évités.
Or plusieurs spectateurs ont été blessés samedi soir, dont certains sérieusement. Les conditions de sécurité au sein du stade de la Licorne, à Amiens, vont donc devoir faire l’objet d’un examen approfondi.
Une question de discipline
Responsables au plan civil des dommages causés à leurs clients, responsables au plan pénal des blessures infligées aux victimes, le SC Amiens est-il également passible d’une sanction disciplinaire devant la Fédération Française de Football (FFF)?
A ce sujet, l’article 2 des Règlements généraux de la FFF stipule clairement que: “Le club recevant est tenu d’assurer, en qualité d’organisateur de la rencontre, la sécurité et le bon déroulement de cette dernière”.
La responsabilité du SC Amiens peut donc être, aussi, engagée devant la FFF.
Des dirigeants de club responsables… en théorie
Le club peut être attaqué, mais qu’en est-il de ses dirigeants? Selon l’article 121-2 du Code pénal l’engagement de la responsabilité pénale du club n’interdit pas à la victime de, simultanément, rechercher celle du dirigeant.
Autrement, dit les clients devenus victimes du SC Amiens peuvent se retourner contre le club, mais aussi contre ses dirigeants. Tout comme leur club, ces derniers peuvent voir engagées leurs responsabilités civile, pénale et disciplinaire. Du moins, en théorie.
Car, en pratique, pour que leur responsabilité civile soit engagée, il faut prouver que les dirigeants du club ont commis une faute “séparable” de leurs fonctions. Si l’hypothèse est théoriquement possible, elle est dans les faits peu probable.
Car ce que les dirigeants du SC Amiens ont fait, ou non, concernant les installations de sécurité à l’intérieur de leur stade, ils l’ont fait a priori en tant que dirigeants du SC Amiens.
Où est l’intention de nuire?
Sur le plan pénal, pour qu’un dirigeant de club voit sa responsabilité pénale engagée, il faut selon l’article 121-3 du Code pénal soit qu’il ait violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité́, qu’il ne pouvait ignorer.
En d’autres termes, il faudrait que les dirigeants du SC Amiens aient enfreint la loi ou agi délibérément, pour se voir condamnés.
Sur le plan disciplinaire, en revanche, les dirigeants de clubs sont licenciés auprès de la FFF. Ils sont donc soumis à ses règles disciplinaires et sont susceptibles d’être personnellement sanctionnés. L’article 1 des Règlements généraux de la FFF attribue ainsi compétence à ses organes disciplinaires pour réprimer les faits commis par des personnes ayant les qualités de “licencié de la F.F.F., de club composé d’une association affiliée à la F.F.F. et, le cas échéant, d’une société constituée conformément aux dispositions du Code du Sport ou de membre, préposé, salarié ou bénévole de ces clubs agissant en qualité de dirigeant ou de licencié de fait”.
Savoir raison garder
Nous l’aurons compris : que des spectateurs puissent risquer leur intégrité physique, voire leur vie, dans un stade de football est inacceptable. Chacun a en tête le précédent tragique de l’effondrement de la tribune du stade de Furiani, le 5 mai 1992, qui avait fait 18 morts et 2357 blessés.
Mais appeler au lynchage des dirigeants ne paraît, en revanche, ni justifié ni approprié. Il serait sain, en réalité, que chacun assume ses responsabilités: le SC Amiens en n’essayant pas de se défausser de ses responsabilités sur les victimes, le grand public en laissant la justice suivre son cours avec sérénité.
Au passage, la Ligue de Football Professionnel et sa commission de sécurité des stades, ne feront pas l’économie d’une introspection. Car ce sont elles qui, au final, ont autorisé le SC Amiens à jouer en Ligue 1, dans le stade en question.
Vous avez dit responsabilité ?
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