Le 13 juin, l’UEFA a annoncé abandonner l’enquête contre le PSG après les transferts en 2017 de Neymar et Mbappé. Le club parisien échappe donc à des sanctions. Après cette décision, l’avocat Thierry Granturco estime qu’il faut repenser le fair-play financier.
Le PSG a évité les foudres de l’Union européenne des associations de football (UEFA) et de son fair-play financier (FPF). Eu égard aux dernières déclarations du président de l’UEFA, cette décision est plutôt surprenante, même s’il faut l’accueillir avec satisfaction.
Cependant, à chaque fois que les questions relatives au FPF sont discutées, elles donnent lieu à des commentaires enflammés, allant de la théorie du complot anti-PSG, en passant par des analyses pseudo-économiques si ce n’est dogmatiques justifiant (mal) une nouvelle régulation du football, pour finir avec ceux qui se satisfont sans réfléchir mais à gorge déployée des sanctions, quelles qu’elles soient, dès lors qu’elles frappent le club parisien et qui, du coup, se désolent lorsque celui-ci les évite.
Pourtant, les discussions au sujet du FPF gagneraient en clarté si elles respectaient quelques préceptes de base. Le premier consiste à revenir brièvement sur la raison d’être du FPF. Il convient en effet de rappeler à tous ceux qui voient dans le FPF une panacée salvatrice que celui-ci a été introduit en 2011 pour endiguer l’endettement systémique des clubs et limiter l’inflation des transferts et des salaires.
Business
Or si l’endettement des clubs a bien été limité – comment pouvait-il en être autrement dès lors que ceux-ci sont empêchés de dépenser plus qu’ils ne gagnent, avec des conséquences sur lesquelles nous reviendrons ? –, les sommes dépensées en transferts et en salaires sont quant à elles en constante augmentation depuis 2011.
Le deuxième précepte est rappelé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) depuis quasiment trente ans. Avec une constance, une force et une détermination sans faille que l’arrêt Bosman a illustré de manière cuisante pour le football national et international. Rappelons par ailleurs que la CJUE se situe au sommet de la pyramide des juridictions pouvant se pencher sur la réglementation du football en tant qu’activité économique et qu’il n’y a donc pas plus grande autorité juridique qu’elle. Nulle autre possibilité, par conséquent, que celle de l’écouter attentivement.
Or que dit-elle ? Tout d’abord que le football est devenu un business. Qu’à ce titre, il constitue donc un secteur économique en tant que tel et que, comme tout secteur économique, son fonctionnement doit se conformer à la législation en vigueur, y compris celle inscrite dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Or le TFUE contient des règles claires relatives à l’organisation de la concurrence, auquel le fair-play financier déroge ouvertement. Sans pour l’instant que quiconque n’ait porté l’affaire devant la CJUE pour savoir si cette dérogation aux règles de concurrence de l’Union européenne était contestable. Pour l’instant…
La CJUE répète également, depuis près de trente ans, que les clubs de foot sont donc des entreprises et qu’ils doivent se conformer à l’ensemble des règles applicables… aux entreprises. Et elle est d’avis que leurs salariés, y compris leurs joueurs, sont quant à eux des travailleurs et doivent être traités tels quels par leurs employeurs.
Obscurantisme, incompétence et condescendance
C’est d’ailleurs justement au RFC Liège et à toute la famille du foot national et international, qui refusèrent à Jean-Marc Bosman, en tant que travailleur, le bénéfice de sa liberté de circulation au sein de l’Union européenne (et de quitter Liège pour Dunkerque) que l’on doit le fameux arrêt éponyme de la CJUE qui a révolutionné le football et son économie.
Ceci étant posé, il est donc consternant que le débat sur le FPF puisse se tenir dans l’ignorance totale des bases de réflexion posées par la Cour de justice de l’Union européenne. Comme si le football n’apprenait pas de ses erreurs. Par un savant mélange d’obscurantisme, d’incompétence et de condescendance.
Non, le droit européen ne pliera pas devant la réglementation du football. C’est la réglementation du football, qu’elle émane de l’UEFA ou de la Fédération internationale de football (FIFA), qui devra plier devant le droit européen. S’il faut repasser devant la Cour de justice de l’Union européenne pour de nouveau asséner cette vérité, nul doute que certains n’hésiteront pas à y aller.
Et il pourrait y avoir des raisons pour cela. Car le FPF interroge. Pour mieux cerner ce qui dérange, prenons un exemple un tantinet provocateur. Imaginons les règles du FPF appliquées à un épicier, une supérette et un hypermarché, qui se retrouvent en concurrence sur le marché de l’alimentation.
Les ambitions de l’épicier et de la supérette
Ces trois acteurs économiques sont déjà en place sur le marché au moment de l’introduction du FPF. Or il leur est dit que le marché de l’alimentation semblant être structurellement en perte, il convient dorénavant pour chacun d’entre eux de ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent. Un dépassement limité pourra leur être accordé, mais pas plus que trois ans de suite.
L’épicier proteste, car il aimerait se transformer en supérette. Pour cela, il aurait besoin d’emprunter et de dépenser plus qu’il ne gagne. Mais cette possibilité lui est refusée. Il veut se transformer en supérette ? Qu’il essaye de le faire sur la (quasi) seule base des marges commerciales qu’il dégage de son activité actuelle. Les dirigeants de la supérette ont quant à eux le projet de se transformer en hypermarché. Mais pour cela, il leur faudrait s’endetter. Ce qui leur est refusé, FPF oblige.
L’hypermarché, qui ne saurait être inquiété par les ambitions de l’épicier et de la supérette, se contentera de surveiller ses concurrents hypermarchés, qui finalement seuls pourraient lui faire concurrence.
Il s’agit bien entendu d’une hyperbole. Mais est-elle, appliquée au football, si loin de la réalité que cela ? Certes, les finances de l’épicier, de la supérette et de l’hypermarché resteront saines. Par la force des choses puisqu’il leur sera interdit de dépenser plus qu’ils ne gagnent. Mais on aura bien compris que le FPF condamnera l’épicier à rester épicier et la supérette à se contenter de son statut de supérette.
Des clubs adossés à des Etats ?
Le Qatar est arrivé au PSG en tant qu’épicier avec des moyens de méga-hypermarché. En sept ans, il sera passé d’épicier à supérette, puis à supermarché. Il reste encore loin de certains hypermarchés alors qu’il a largement la capacité financière d’aller concourir avec eux. Au risque de s’endetter et de mettre son club financièrement en péril ? Certainement pas puisque son actionnaire est solvable. C’est le moins qu’on puisse dire.
Donc on risque, en réalité, de remettre en question un prétendu savant équilibre économique qui, en réalité, ne bénéficie qu’aux plus grands clubs, bien installés depuis des décennies, aux revenus construits patiemment et qui craignent l’arrivée de mégariches sur un marché qu’ils dominent depuis très longtemps.
Certains pourraient dire que le problème vient du fait que ces méga-riches, qui détiennent aujourd’hui le PSG via le Qatar et Manchester City via Abu Dhabi, adossent en réalité leurs clubs à des Etats. Ce qui fausserait la concurrence.
Soit ! Mais la situation serait-elle différente si, par exemple, Amazon ou Facebook voulait acheter un club ? Ce sont des entreprises commerciales, qui investiraient de manière traditionnelle dans une entreprise-club, active dans un secteur économique supposé obéir aux règles du marché.
Hors sujet !
Ne nous y trompons pas. Les règles dont nous parlons sont iniques et juridiquement très critiquables. Certains préfèrent voir l’arbre PSG plutôt que la forêt FPF qui a instauré de facto et de jure un marché concentré entre les mains de quelques clubs que nous retrouvons chaque année dans les huit à seize clubs se partageant les mannes financières des compétitions UEFA.
Leurs revenus ont explosé et leurs dépenses en transferts ont augmenté de manière exponentielle. Mais, pour autant, ces clubs dégagent des bénéfices et dominent le marché du foot business comme jamais. D’autres, derrière, essayent de survivre en ayant accepté, tête baissée, que certains clubs soient devenus intouchables. Merci le fair-play financier !
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