SPORT – Uber et Airbnb sont des exemples parlants du chahut qui secoue les modèles économiques traditionnels. Nombre de secteurs économiques voient aujourd’hui leurs opérateurs traditionnels mis au défi dans leurs zones de confort. C’est peut-être le point de non-retour qui attend la Fédération Française de Football.
En effet, quelle que puisse être la décision à venir du Conseil d’Etat dans le contentieux l’opposant à la Fédération Française de Football (FFF), la Ligue de Football Professionnel (LFP) pourrait aisément décider de ne pas en tenir compte. Les clubs de football professionnels pourraient en venir à contester les pouvoirs de la FFF et décider de gérer le football professionnel sans cette dernière ?
On pourrait ne pas en être loin. Explications.
Les querelles dans le football hexagonal entre la Fédération Française de Football (FFF) d’une part et la Ligue de Football Professionnel (LFP) d’autre part, ont en effet crûment jeté la lumière sur les dysfonctionnements au plus haut sommet du football français.
Cette crise de gouvernance s’explique en partie par l’incapacité du Ministère des sports, ayant délégué une mission de service public à la FFF, de réellement exercer son pouvoir de tutelle sur cette dernière. Mais elle s’explique aussi et peut-être surtout par le fait que détentrice d’un pouvoir non réellement discuté, la FFF et dans son sillon la LFP, édictent leurs propres règlements, qu’elles appliquent avec une créativité dont elles ne cessent, par opportunisme, de repousser les limites.
Pour différentes raisons, ceci ne saurait durer.
Tout d’abord parce que l’exercice de prérogatives de puissance publique suppose une prévalence sans faille de l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Or, il est peu de dire que, refermées sur elles-mêmes, ces institutions ont de plus en plus de mal à distinguer la frontière entre les notions d’intérêts publics et privés et, au-delà, entre leurs propres intérêts et ceux des acteurs du football français.
Ensuite, parce que leurs pouvoirs devenus sans limite, pourraient bientôt être sérieusement contestés par les autorités en charge de la concurrence.
Ainsi, la très récente décision de l’Autorité belge de la concurrence à l’encontre de la Fédération Equestre Internationale (FEI) devrait interpeller les fédérations sportives confrontées à de nouveaux opérateurs dans ”leurs” sports. En effet, saisie d’une plainte de la Global Champions Tour, l’Autorité belge a contraint la FEI à suspendre une règle vraisemblablement destinée à faire échec à l’organisation de concours en marge des épreuves qu’elle organise. Cette dernière interdisait aux cavaliers souhaitant participer à une ”épreuve FEI” d’avoir dans les six mois précédents, participé à une autre ”épreuve non FEI”.
Cette règle qualifiée par certains d’exclusivité fut analysée comme un abus de la FEI que l’Autorité considérait en position dominante. La Global Champion Tour peut donc aujourd’hui mettre sur pied ce cycles d’épreuves par équipes réunies non pas sous une même couleur nationale, mais sous un même sponsor.
Certes, la décision rendue est provisoire et doit être confirmée par l’Autorité. Mais, elle n’en est pas moins révélatrice d’une volonté des autorités de concurrence de scruter le monde du sport et d’analyser en particulier le comportement des fédérations sportives. A la date d’aujourd’hui, au moins cinq enquêtes diligentées par des autorités nationales de la concurrence sont en cours au sein de l’Union européenne.
Le raisonnement tenu à l’égard de la FEI pourrait à n’en pas douter être appliqué à nombre de fédérations sportives qui bénéficient d’un monopole de fait d’organisation de compétitions et d’évènements sportifs qu’elles entendent préserver à tout prix. Cette protection est d’autant plus facile que ces fédérations promulguent elles-mêmes leurs règles de fonctionnement internes et celles régissant leurs sports. Il leur est ainsi particulièrement aisé de cadenasser les tentatives d’incursions dans leurs sphères d’activités.
De nouveaux acteurs sont donc irrémédiablement amenés à bousculer l’économie du sport et devront trouver l’espace pour le faire sans être muselés par des moyens autres qu’une saine concurrence par les mérites.
En d’autres termes, il est temps pour la puissance publique de reprendre la main sur l’organisation du sport en Europe. Les fédérations sportives, nationales et internationales, sont en règle générale mal gouvernées. Les exemples de dysfonctionnements majeurs ne manquent malheureusement pas qui étayent nos propos.
Elles ne sont par ailleurs pas ou mal contrôlées. L’organisation même des disciplines sportives en fédérations nationales, européennes et internationales, font de certains dirigeants au niveau international des hommes et des femmes quasi intouchables. Il aura ainsi fallu l’intervention agressive des autorités judiciaires américaines et une procédure pénale avec des chefs d’accusation extrêmement graves pour déloger Sepp Blatter de la FIFA.
Et ce sentiment de puissance absolue, d’être au-dessus des lois, les amène à régulièrement prendre des décisions malheureuses. Comme si, finalement, il était impensable qu’elles puissent être contestées.
Or, contestées elles le sont et vont l’être de plus en plus. La FFF a le monopole du sport en France. Est-ce normal ? Est-ce viable ? La LFP semble penser que non. Et elle a raison.
Cette contestation ne fait que germer. Elle est encore très loin d’avoir donné tous ses fruits.
Elle n’est de surcroît pas limitée au football et à la France. Elle touche déjà potentiellement tous les sports et toutes les fédérations, qu’elles soient nationales, européennes ou internationales.
De nouvelles interventions des autorités de la concurrence nous semblent dès lors inéluctables si les fédérations devaient se considérer propriétaires de “leurs” sports. De nouveaux acteurs arrivent sur le marché qui bousculeront les droits acquis et les monopoles. Les autorités de la concurrence leur laisseront l’espace nécessaire à leur développement. De gré ou de force.
A bon entendeur…
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