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Sports et business

Non à l’e-sport aux JO de Paris 2024

20 août 2017

Accueillir des compétitions d’ “e-sport” aux JO de 2024, comme l’a annoncé Tony Estanguet, co-Président du Comité de candidature Paris 2024, est-il une bonne idée? Assurément non. Pour plusieurs raisons.

La première d’entre-elles est simple. Elle est même évidente: l’ “e-sport” n’est pas un sport.

Et c’est le législateur qui le dit. Car si celui-ci s’est bien gardé de définir le sport de manière précise, nous pouvons néanmoins toujours nous référer à la Charte européenne du sport, adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe par les ministres des sports des pays membres, qui en donne la définition suivante: “on entend par “sport” toutes formes d’activités physiques et sportives qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l’expression ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux”.

La définition est large, mais elle n’en reste pas moins basée sur le principe que le sport reste d’abord et avant tout une activité physique.

Pas de fédération d'”e-sport”

On note que, par ailleurs, la récente loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 “pour une République numérique”, qui est venu réglementer cette pratique, a préféré parler de “compétitions de jeux vidéo” plutôt que de “e-sport”.

On pourra objecter que le législateur a toujours un train de retard, et qu’il ne comprend, d’une façon générale, pas grand-chose au sport.

Alors posons-nous la question de savoir ce qu’il en est au niveau de la politique publique du sport? En France, la pratique du sport est réglementée et exercée en règle générale sous la tutelle d’une fédération. Or, il n’existe à ce jour aucune fédération d’ “e-sport”. Ni au niveau national, ni au niveau européen et ni au niveau international. En théorie, l'”e-sport” ne peut donc pas devenir une discipline olympique, car seule celles organisées sous forme de fédérations peuvent prétendre à le devenir.

Ensuite, que dit le juge lorsqu’il est confronté à ce genre de problématiques? Deux arrêts font autorité en la matière. L’un du juge civil, l’autre du juge administratif. Et en l’occurrence ils ont la même opinion à ce sujet.

Côté civil, l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 8 avril 1998 dispose que le sport est un jeu dont la caractéristique principale est d’impliquer une “activité physique”. Côté administratif, l’arrêt du Conseil d’Etat du 26 juillet 2006 juge que le bridge est pratiqué comme une “activité de loisir”, et non comme un sport, car il ne tend pas à la recherche de la performance physique.

En d’autres termes, pour les ministres des sports européens, pour le législateur, pour la politique publique du sport et pour le juge, le sport implique une activité physique.

L’e-sport répond-il à cette caractéristique ? Non, et pour plusieurs raisons

Pas de définition de l’ “e-sport”.

Tout d’abord, parce qu’il nexiste pas de définition officielle de l’ “e-sport”. En clair, on ne sait pas vraiment ce que c’est. Ce serait – définition contestée, mais répandue – “une pratique régulière sur internet ou en mode partagé d’un jeu vidéo obligatoirement multijoueurs via un PC ou une console de jeu”.

En réalité, les “terrains de jeux” sont multiples: ordinateurs, consoles, tablettes et autres appareils portables. Certains de ces supports sont détenus sous forme propriétaire par de grands groupes tels que Microsoft, Samsung ou Sony, de sorte que certaines compétitions ne sont accessibles qu’aux personnes munies des matériels de ces marques.

Le contenu de l'”e-sport” n’est pas non plus connu. Il n’existe aucune liste officielle des jeux concernés. Ceux qui pensent encore que l'”e-sport” est réservé aux jeux simulant des activités sportives, comme FIFA 18 ou PES 2018 pour le football, se trompent. Car il est admis que des jeux comme Counter-strike, Dota 2 ou encore Call of Duty – pour faire simple, des jeux de guerre en ligne – sont aussi des pratiques d'”e-sport”.

Enfin, les compétitions, qui sont payantes, sont gérées par des organisations commerciales privées. Pour leur intérêt particulier et certainement pas pour l’intérêt général.

Ces mêmes organisations commerciales exercent aujourd’hui un lobbying de tous les instants pour convaincre les responsables politiques de fermer un œil sur leur objectif de politique publique, maintes fois répété, de lutte contre la sédentarité.

Or quel plus bel exemple de sédentarité que celui qui consiste à rester derrière un écran, pour jouer avec une manette de jeu? En ayant désormais l’illusion, savamment entretenue, de pratiquer un “sport” ?

La fin du sport

Les supporters de l’e-sport ont deux arguments principaux pour défendre leur thèse. Le premier consiste à dire que si les échecs, le billard ou la pétanque peuvent être considérés comme des sports, pourquoi les compétitions de jeux vidéo ne le pourraient-elles pas? Le deuxième consiste à dire que ces pratiques sont proposées par des organisations reconnues, sous forme de compétitions, obéissant à des règles bien établies et mettant aux prises des concurrents faisant preuve d’un certain nombre de qualités, telles que la dextérité, la rapidité ou la concentration, généralement associées à la pratique sportive.

Ces arguments sont fallacieux.

Car si l’ “e-sport” devait vraiment obtenir une sorte de reconnaissance dans la cadre de Paris 2024, nous serions alors légitimement en droit d’espérer – et nous ne manquerions pas de le demander – que dans la foulée, les artisans de France puissent par exemple revendiquer que leurs concours annuels deviennent eux aussi des disciplines sportives. Voire des disciplines olympiques.

Car après tout, eux aussi ont mis en place une structure prenant en charge l’organisation de ces compétitions entre leurs membres, selon des règles bien définies, qui nécessitent souvent de ceux-ci dextérité, adresse, vitesse, stratégie et une dépense physique au moins égale à celles des joueurs en ligne. Voire supérieure. Il n’y aucune raison qu’à côté d’un championnat olympique de Call of Duty ne puisse pas, demain, exister un championnat olympique de pâtisserie, de boulangerie ou de lièvre à la Royale.

Aucune raison n’empêcherait que ce qui vaut pour des compétitions de jeux électroniques ne puisse valoir pour d’autres compétitions présentant les mêmes caractéristiques. Et nous aurons ainsi compris qu’au nom de puissants intérêts commerciaux, et au détriment de la santé publique, il en serait fini de la notion même de sport.

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