À en croire ses collègues, Gianni Infantino est un homme « constamment à l’écoute. » Il n’a donc pu ignorer l’avalanche de critiques visant les montants fous qui ont rythmé le dernier mercato européen, comme celles portant sur les sommes disproportionnées qui finissent dans les poches de certains agents. Alors, Gianni a pris note, et s’est même dégoté un rencard avec Emmanuel Macron, notamment pour évoquer le sujet épineux de la régulation des transferts. Une rencontre peut-être indicative des changements que l’Italo-Suisse souhaite mettre en place pour faire évoluer la gouvernance de la FIFA.
Changement de cap
« C’est étonnant de voir Infantino discuter avec un dirigeant européen de ces questions-là… Jusqu’à récemment, c’était inimaginable de voir la FIFA se rapprocher des instances étatiques, dont elle préfère rester indépendante » , relève Didier Primault, directeur du Centre de droit et d’économie du sport. Alors, pourquoi ce soudain changement de cap ? « Infantino a été juriste pour le CIES, il connaît ces problématiques. Il a compris que la FIFA avait besoin de discuter avec la Commission européenne pour travailler sur de nouvelles réglementations, plus respectueuses du droit européen. »
Une précaution que la Fédération internationale n’a pas toujours prise, à ses dépens. « Typiquement, en 2008, quand la France venait de prendre la présidence de l’UE, la FIFA venait expliquer aux ministres des sports qu’elle voulait mettre en place le 6+5 (ndlr, une règle qui visait à imposer d’aligner six joueurs nationaux, soit un maximum de cinq joueurs étrangers, dans le onze de départ de chaque club professionnel). Évidemment, la mesure entrait en contradiction avec la législation européenne sur la libre circulation des travailleurs et n’a pu être adoptée. Travailler sur de nouveaux règlements en s’appuyant sur le savoir-faire des États, comme Infantino semble vouloir le faire, éviterait ce genre d’approximation. »
Tournant stratégique
La volonté de collaboration avec les chefs d’États affichée par Infantino peut aussi être interprétée comme un gage de bonne volonté, pour rassurer une justice inquiète de certaines évolutions récentes du football européen. « La vérité, c’est que, depuis quelque temps, la FIFA a la commission européenne sur le dos » , pose Thierry Granturco, avocat spécialisé dans le droit du sport et expert juridique auprès de la Commission européenne. « Elle l’interpelle sur plusieurs lois, que les clubs ne respectent plus vraiment. Par exemple, l’arrêt Bosman garantit la liberté de circulation des joueurs ; pour le contourner, les clubs multiplient les clauses de départ et fixent des montants de transfert astronomiques, censés empêcher les joueurs d’évoluer où ils le souhaitent. »
Tournez magouilles
De quoi inciter la Fédération internationale à calmer le jeu, en associant les États à l’élaboration de nouveaux règlements. Les nouvelles régulations défendues par Infantino viseraient notamment à encadrer strictement le montant des commissions d’agent. Un contrôle sur les agents que la FIFA n’a pu assurer elle-même, elle qui ne fixe aucun pourcentage réglementaire sur les commissions et n’exige plus, depuis 2015, de licence internationale pour exercer cette profession. « La FIFA dépensait des sommes folles pour réguler le métier, sans résultat, alors elle a arrêté » , poursuit Granturco. « Mais aujourd’hui, de nombreux grands clubs, comme les géants anglais et le Real, demandent à la FIFA de mettre en place un système de rémunération des intermédiaires avec des plafonds stricts, communs à tous. »
Escapade berlinoise
En montrant patte blanche à la Commission européenne, la FIFA peut aussi espérer obtenir des dérogations qui feraient du football un objet à part sur le plan juridique. « Stratégiquement, la FIFA pourrait chercher à contenter la Commission et certains états membres de l’UE pour faire entrer à terme dans la loi le statut du football comme objet spécifique, hors du droit commun » , avance Granturco. « Pour cela, il faudrait faire voter un statut d’exception pour le football au conseil des ministres européens. » Un objectif sacrément ambitieux. « Cette démarche ne me semble pas près d’aboutir. Il suffit de jeter un œil à la jurisprudence pour se rendre compte de la difficulté que cela représente. Aujourd’hui, la loi considère le sport professionnel comme une activité économique. Un club est une entreprise, un joueur, un salarié. Ils sont censés avoir les même droits et devoirs que les entreprises et employés “classiques” et la justice les traite comme tels. »
Les tentatives d’inscrire le sport et le football comme des disciplines exemptées du cadre juridique classique se sont d’ailleurs toutes conclues par un échec cuisant : « Au conseil des ministres, cette demande de spécificité du sport est très mal vue » , déroule Granturco. « Quand il était secrétaire d’État chargé des Sports, Thierry Braillard voulait créer un statut spécifique pour le sport, mais il n’a pas du tout été suivi. Tous les pays du nord de l’Europe sont catégoriquement contre, y compris l’Allemagne. » L’Allemagne, où Angela Merkel s’est insurgée en septembre dernier contre les excès dépensiers des grands clubs européens. De quoi inciter Gianni à s’offrir une petite escapade berlinoise dans les mois qui viennent…
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