Impact sur les revenus des joueurs, diminution des indemnités aux prud’hommes pour les entraîneurs… Voici quelles conséquences pourraient avoir la réforme du Code du travail et la hausse de la CSG, souhaitées par le président Macron.
Jean Le Bail
Les lendemains d’élections présidentielles peuvent être «cruels» pour le football. La fameuse taxe à 75% avait amené les clubs au bord de la grève en 2013. Cette ponction sur la partie des salaires supérieure à 1 M€ par an, annoncée par François Hollande pendant sa campagne, leur avait coûté entre 40 et 45 M€, selon la LFP à l’époque. Plus loin dans le temps, la suppression du DIC, le droit à l’image collective, sous la présidence Sarkozy, en 2010, avait privé les clubs d’un allègement substantiel de charges (un système comparable a été rétabli début 2017 à travers la loi Braillard II mais les clubs attendent toujours les décrets d’application). Qu’en sera-t-il avec le nouveau locataire de l’Elysée ?
Le chantier social détaillé mardi par le Premier ministre, Edouard Philippe, et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, pourrait avoir des conséquences sur le football, mais a priori peu d’impact économique pour les acteurs, à quelques exceptions près toutefois : le plafonnement des dommages et intérêts que les salariés (les joueurs, les entraîneurs) peuvent réclamer devant les prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (c’est l’un des volets de la réforme du travail) et la refonte de la CSG qui pourrait écorner (un peu) le pouvoir d’achat des footballeurs (et des rugbymen les mieux payés).
Congés payés et durée du temps de travail
C’est à peu près tout : personne ne semble croire, tant chez les syndicats de clubs que le syndicat des joueurs, que le nouveau Code du travail va changer les règles du jeu, définies par la Convention collective nationale du sport (CCNS) et la Charte du football professionnel. Même si, comme cela est prévu, certaines négociations qui se mènent aujourd’hui au niveau de la branche (le sport, le football) vont sans doute «descendre» demain dans l’entreprise, les clubs.
C’est surtout sur ce point important du projet voulu par Emmanuel Macron que l’UNFP, le syndicat des footballeurs, qui s’appuie sur 94% d’adhérents, se dit «en veille» voire «en alerte». «Notre principale préoccupation est de protéger notre population de footballeurs professionnels en étant vigilant sur les sujets qui basculeraient des accords de branche aux négociations club par club.»
Et de citer un exemple de «ligne rouge» à ne pas franchir : «Il ne faudrait pas qu’à travers une négociation sur les congés payés, club par club, les employeurs arrivent à se mettre d’accord pour remettre en cause la trêve hivernale afin d’introduire de façon subreptice un “Boxing Day” à la française que nous avons jusqu’à présent refusé.» L’UNFP affirme aussi que plusieurs des 43 clubs professionnels n’ont pas organisé d’élections des délégués du personnel et que dans ces conditions, les négociations seraient bien en peine d’avoir lieu ici ou là…
Dans l’autre moitié du terrain, côté syndicats de clubs, on assume la volonté de négocier au niveau de l’entreprise sur davantage de sujets. «C’est une demande générale du patronat et nous sommes à ce titre des employeurs comme les autres, explique Marie-Hélène Patry, chargée des questions juridiques à Première Ligue, le syndicat de la plupart des clubs de L1. Négocier au niveau des clubs pourrait par exemple permettre d’avancer sur la durée du temps de travail qui reste soumise à risque juridique dans l’univers du football en raison de son rythme particulier.» Les joueurs sont censés être aux 35 heures…
«Un plafonnement des indemnités prud’hommales ferait grincer des dents» Thierry Granturco, avocat
Avocat spécialiste du droit du sport, Thierry Granturco met le doigt là où les réformes Macron pourraient faire le plus mal. «C’est surtout l’éventuelle ”barémisation” des indemnités versées aux joueurs et aux entraîneurs devant les prud’hommes qui va être regardée de près. S’il devait y avoir un plafonnement comme envisagé par le gouvernement, cela ferait sûrement grincer des dents.»
Le plafonnement en discussion ne concerne pas les indemnités de licenciement qui sont dues jusqu’à la fin du contrat (un an par exemple si un contrat de deux ans a été interrompu au bout de la première année), mais les dommages et intérêts que le joueur ou l’entraîneur limogés réclament en plus et qui peuvent atteindre des sommes très élevées, en rapport avec le niveau de leurs revenus.
«C’est pour ne pas payer ces indemnités que les clubs imputent presque systématiquement une faute grave au salarié dont il veulent se séparer. Avec un plafonnement, ils auraient d’une part la garantie de payer une somme prédéfinie par la loi et, d’autre part, celle de payer moins qu’aujourd’hui…»
Inscrit au barreau de Paris mais aussi à celui de de Bruxelles, Me Granturco fait le rapprochement avec le système «très pragmatique» des Belges. «Les intentions du gouvernement ressemblent fortement à ce qui est appelé à Bruxelles la “grille Claeys”. Elle indique précisément ce à quoi les entreprises s’exposent en termes d’indemnités en cas de licenciement, y compris abusif.»
Une perte de revenu pour les joueurs ?
Après la refonte du Code du travail, c’est l’autre gros morceau du programme social d’Emmanuel Macron : une réforme de la CSG (contribution sociale généralisée), au terme de laquelle, selon la promesse du chef de l’Etat pendant sa campagne, chaque actif pourra «mieux vivre de son travail». Chaque actif, vraiment ? En réalité, d’après des simulations du cabinel FiDroit pour le Figaro, mercredi, une catégorie de salariés, certes restreinte puisqu’il s’agit des très hauts revenus, va au contraire y perdre au change. Parmi eux, les footballeurs.
Dans cette catégorie de salariés touchant plus de 33 450 € brut par mois (le point de bascule entre les «gagnants» et les «perdants» de la réforme, selon les calculs du cabinet), figure en effet la grande majorité des joueurs (le salaire moyen en Ligue 1 est de de 45 000 € brut par mois). Une population à laquelle on peut ajouter les mieux payés des rugbymen (41 200 € brut par mois en moyenne pour les 30 salaires les plus hauts du Top 14).
Concrètement, le projet consiste à augmenter la CSG de 1,7 point pour la porter à 9,2% sur les salaires, contre 7,5% aujourd’hui. En contrepartie, il est prévu de supprimer les cotisations chômage et maladie payées par les salariés. La différence devrait permettre de gagner «500 euros supplémentaires nets par an pour un salaire de 2 200 euros net par mois», un gain de pouvoir d’achat qui ne profitera donc pas aux footballeurs… sans qu’ils soient non plus très pénalisés.
«D’après les projections, la perte de pouvoir d’achat pour un salaire de 35 000 € brut par mois est d’environ 200 € par an, ce qui ne pas chercher bien loin, décrypte Marie-Hélène Patry chez Première Ligue. Il faudra quand même regarder quelle peut être la perte sur des salaires de 100 000 € et plus qui existent aussi dans notre activité (tous les joueurs du PSG titulaires par exemple). Là, on atteindra très certainement des sommes significatives.»
Si les syndicats de clubs regardent ce sujet d’aussi près, c’est qu’il seraient sans doute amenés à compenser la perte de pouvoir d’achat des joueurs. Dans la plupart des cas, en effet, les salaires des joueurs sont négociés par leurs agents en net, et même parfois en «net net», c’est-à dire également net d’impôts.
La refonte de la CSG doit entrer en vigueur le 1er janvier 2018. Les discussions sur la réforme du Code du travail, elles, débuteront ce vendredi et devraient s’étaler jusqu’au 21 juillet. Entre temps, le conseil des ministres du 28 juin aura adopté le projet de loi d’habilitation. Le début du processus d’adoption du texte par ordonnances. La ratification de la réforme est prévue avant la fin de l’été.
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