SPORT – L’interdiction édictée par la FIFA le 22 décembre 2014 concernant la tierce propriété des joueurs, plus connue sous son acronyme anglais TPO (pour third-party ownership) est rentrée en vigueur ce 1er mai. Il n’est donc plus possible de détenir les droits d’un joueur. Et c’est bien dommage.
Le TPO est d’abord et avant tout une source de financement des clubs
Regretter la disparition du TPO, c’est a priori aller à contre-courant de la majorité bien-pensante. A priori seulement. Car nul ne peut ignorer que la plupart des clubs de football professionnels ont la plus grande difficulté à se financer. Ils ne possèdent généralement pas ou peu d’immobilisations qui permettraient aux banques de sécuriser les prêts qu’ils pourraient leur octroyer. Ainsi, seul Lyon en France sera, en Ligue 1, propriétaire de son stade. Certains possèdent bien leur centre d’entraînement ou autre centre de formation. Mais cela pèse peu au regard de leurs besoins en financement.
Les joueurs constituent quant à eux un actif incorporel pour les clubs, dont la valeur est d’ailleurs inscrite à leurs bilans comptables. En effet, selon le droit comptable, “un actif est une ressource dont des avantages économiques futurs sont attendus par l’entité. (…) L’avantage économique futur représentatif d’un actif est le potentiel qu’a cet actif de contribuer à des flux de trésorerie allant à l’entité”.
Pas de doute : un joueur a une valeur intrinsèque et cette valeur peut être monnayée de différentes manières. Principalement, pour ce qui relève du TPO, via son transfert d’un club à un autre.
C’est se basant sur cette double réalité économique, à savoir la quasi impossibilité pour la plupart des clubs d’avoir recours à l’emprunt bancaire alors même qu’ils possèdent avec les joueurs des immobilisations incorporelles ayant potentiellement une forte valeur marchande, qu’est né le TPO. La demande en financement des clubs a rencontré l’offre de certains fonds d’investissement avides de plus-values sur transferts.
Alors où est le problème ?
Le TPO source potentielle d’atteinte à l’intégrité des compétitions
Certaines explications sont avancées par la FIFA et ses défenseurs, qui ne sauraient être considérées comme sérieuses. La FIFA argumente, par exemple, qu’interdire le TPO pousserait les investisseurs à investir dans les clubs plutôt que dans les joueurs, en renforçant ainsi leur santé financière. Outre qu’il est encore en droit comme en fait inadmissible que la FIFA s’arroge de nouveau le pouvoir de réglementer l’économie du football là où elle devrait se limiter à en administrer la pratique, elle fait une erreur de jugement majeure. En effet, alors que la FIFA a un pouvoir monopolistique d’organisation et de diffusion des compétitions internationales, un club se retrouve quant à lui sur un marché ouvert et ultra-compétitif dans lequel l’incertitude, liée aux résultats sportifs, est majeure.
C’est ce qui explique, entre autres, que les institutions financières traditionnelles refusent en général les prêts ou autres avances en trésorerie aux clubs de football. C’est ce qui explique également et surtout la grande difficulté à attirer les investisseurs traditionnels dans ce secteur économique. Par conséquent, penser qu’en interdisant le TPO, la FIFA amènera des sources de financement alternatives vers les clubs de football est une hérésie.
Les autres raisons avancées sont au moins du même acabit. Le seul vrai sujet de discussion est donc en réalité celui de savoir si en autorisant le TPO, la FIFA ne légitimerait pas l’influence de certains fonds d’investissement sur l’organisation des compétitions sportives. Et cette question a pris une dimension quasi dramatique dans la liturgie du football international quand on apprit en 2006, que les droits de Carlos Tevez, le célèbre buteur argentin qui fait actuellement les beaux jours de la Juventus de Turin, appartenaient à un fonds d’investissement qui pouvait décider s’il devait ou non être transféré de West Ham (son club à cette date), quand et à quel prix.
Le monde du football s’est alors inquiété d’une pratique que la FIFA a voulu encadrer dès le 1er janvier 2008, en introduisant un nouvel article 18 bis au sein de son Statut du joueur. L’objectif annoncé était que ces fonds d’investissement, qui pouvaient potentiellement détenir les droits de nombreux joueurs, ne puissent pas influer sur les décisions sportives prises par les clubs et au final sur l’intégrité des compétitions au sein desquelles ils sont engagés.
On connaît la suite : les transferts ont explosé en nombre et en montants ces dernières années pour atteindre 3,6 milliards d’euros en 2014. Selon une étude de KPMG, 1,070 milliard aurait été empoché par des fonds d’investissement qui détiendraient les droits de quelques 1.100 joueurs dans le monde.
C’est devant ce constat que la FIFA a donc décidé d’intervenir en introduisant un nouvel article 18 ter dans son Statut du joueur qui cette fois-ci, interdit purement et simplement le TPO.
Et pourtant…
Cette initiative réglementaire de la FIFA est cependant vaine.
Tout d’abord parce que les clubs auront tout autant besoin de trésorerie demain qu’ils en avaient besoin hier. Les fonds d’investissement adapteront donc leurs pratiques en conséquence, mais ne renonceront pas aux activités qui sont les leurs aujourd’hui dans le domaine du football professionnel. En coulisses, ils travaillent déjà à des solutions alternatives avec leurs avocats.
Par ailleurs, le genre de contrat signé par West Ham avec Carlos Tevez n’est plus pratiqué depuis de nombreuses années. Les fonds d’investissement ne demandent plus ou n’obtiennent plus de véto sur le transfert ou le non transfert d’un joueur. Ils en obtiennent seulement un retour sur investissement financier. Ce qui est déjà très bien.
Dès lors, leurs pratiques se rapprochent fortement de celles d’agents de joueurs. La rétribution de ces derniers varie en effet d’un club et d’un pays à l’autre, de 6 à 12 % du salaire brut du joueur calculés sur la durée totale du contrat signé avec le club. Ils demandent de surcroît parfois un pourcentage sur le montant du prochain transfert de leurs poulains. Ainsi, il n’est pas rare de voir un joueur être transféré d’un club A à un club B pour disons 10 millions d’euros et son agent empocher disons 5% de ce montant versés par le club vendeur, en sus de ses honoraires qui seront payés par le club acheteur.
Quand les clubs acceptent de telles clauses avec des agents, n’acceptent-ils pas finalement de payer le même genre de compensations que celles qu’ils payeraient à un fonds d’investissement ?
Il faut donc s’attendre à voir les fonds d’investissement se montrer créatifs, se rapprocher des agents, et continuer à exploiter les droits des joueurs de football professionnels comme ceux de certains acteurs de cinéma, d’artistes voire même de sportifs d’autres disciplines peuvent parfois l’être.
Le fait que les Ligues de football espagnole et portugaise d’une part et le fonds d’investissement basé à Malte Doyen Sports d’autre part, aient contesté la validité de l’interdiction du TPO devant la Commission européenne ne changera finalement rien à la donne.
Partager cette page