Avec ses cités-dortoirs et ses usines automobiles à perte de vue, Changchun (Chine du Nord-Est) n’était pas forcément l’endroit rêvé pour une retraite. Mais lorsqu’on a proposé à Wilfried Gohel d’endosser le maillot du club local, l’ex-attaquant de Monaco a été tenté de relever le défi. Il espérait bien alors terminer tranquillement sa carrière de footballeur. Et était loin d’imaginer qu’évoluer en Chine, c’était comme marcher sur un fil entre deux mondes, deux cultures du sport que tout oppose. Une saison, c’est le temps qu’il lui faudra pour découvrir la dure réalité du football à la sauce pékinoise. Une discipline où l’amateurisme le dispute au manque d’intégrité.
Durant le mercato d’hiver, les clubs chinois ont dépensé 337 millions d’euros en achats de joueurs, soit autant que la Premier League anglaise et la Série A italienne réunies. “Ces jeunes footballeurs prennent le risque de disparaître des écrans radars en Europe, mais ils se privent aussi de la seule manière de progresser au plan sportif, celle qui consiste à évoluer dans un championnat compétitif et de haut niveau”, analyse Rhadamès Killy, expert en droit du sport du cabinet De Gaulle Fleurace & Associés.
De 62 milliards de dollars, le gouvernement voudrait la faire passer à 800 milliards d’ici à 2025. Dans les cinq prochaines années, 20000 académies verront le jour, à l’image de l’Evergrande Football School de Guangzhou, la plus grande école de foot du monde, dotée de 50 terrains de foot et de 140 entraîneurs.
En ligne de mire des autorités chinoises: remporter l’organisation de la Coupe du monde de foot de 2026 et, si possible, la gagner. Sauf qu’en Chine les gamins ont, jusqu’à présent, préféré jouer au pingpong ou au badminton plutôt que de courir après un ballon rond.
Comme souvent en Chine, ce sont les conglomérats qui sont à la manoeuvre. Les nouveaux conquérants de la planète foot s’appellent Wanda, Evergrande, Alibaba, Ledus, LeTV… Ils investissent tous azimuts dans des clubs, des joueurs, des ligues professionnelles, des droits télé ou encore des entreprises de marketing sportif.
Démonstration avec Wanda, un groupe présent dans l’immobilier, l’hôtellerie et le cinéma, contrôlé par Wang Jianlin, l’homme d’affaires le plus riche de Chine. Il est à la fois actionnaire de l’Atletico Madrid, propriétaire de l’agence marketing Infront (n°2 mondial) et top sponsor de la Fifa.
Après Sochaux l’an dernier, c’est peut-être au tour du Milan AC de passer sous pavillon chinois. “Ce ne sont pas des caprices de milliardaire. Ce faisant, les Chinois s’offrent une porte d’entrée dans le foot”, décrypte Jean-Louis Triaud, le patron des Girondins à Bordeaux, où bruissent des rumeurs de rapprochement avec Jack Ma, le boss d’Alibaba.
Le défi est immense. Les apprentis footballeurs chinois sont peut-être de bons petits soldats, prompts à s’entraîner pendant des heures, mais ce ne sont pas des as du dribble, encore moins du jeu à onze. Les Chinois se baladaient fin avril au 81e rang du classement Fifa, derrière Chypre, la Bolivie et la Zambie. La seule fois où ils se sont qualifiés pour une Coupe du monde, c’était en 2002, et ils n’ont marqué aucun but.
“Les joueurs, l’encadrement et les infrastructures ne sont pas au niveau. A peine celui de nos clubs de CFA. Or il faut du temps pour qu’un football produise ses premiers bons joueurs”, explique Thierry Granturco, avocat spécialiste du droit du sport. “Techniquement, ils ne sont pas mauvais, mais ils manquent de pratique. Or le niveau de leur championnat est dramatiquement faible”, renchérit Lionel Maltese, enseignant-chercheur à l’université d’Aix-Marseille, spécialiste du marketing sportif.
Denis Schaeffer, directeur du centre de formation du FC Metz, va même plus loin: “La politique de l’enfant unique a développé une forte culture du sport individuel. Pour réussir leur pari, ils devront apprendre à développer un minimum d’intelligence collective.”L’entraîneur Denis Lavagne a travaillé deux ans aux côtés des joueurs de Chengdu (Sichuan). C’était il y a dix ans, il se souvient: “On se serait cru en RDA dans les années 70. Les Chinois avaient beaucoup de retard, notamment dans l’entraînement. Mais ils sont convaincus qu’ils peuvent apprendre en copiant.”
Capter de la compétence en s’imprégnant des méthodes occidentales? C’est une constance, dans l’empire du Milieu. A l’image des transferts de technologies négociés dans l’industrie, pas un deal sportif n’est signé sans qu’un programme d’échanges ne soit imposé. Au Portugal, le fabricant chinois de lampes Ledman, qui va sponsoriser le championnat de deuxième division, a exigé le recrutement d’une dizaine de joueurs chinois dans les clubs.
La France entend bien profiter de l’occasion pour vendre son savoir-faire. La Fédération française de foot (FFF) a signé, en début d’année, un partenariat avec son homologue chinois. “Ils veulent repenser leur système de pratique et d’enseignement. Or le savoir-faire français en matière de formation est reconnu et transposable. Après être allée là-bas cet hiver présenter notamment notre programme ‘Foot à l’école’, nous accueillerons une délégation chinoise en juin à Clairefontaine”, s’enthousiasme Victoriano Melero, DG adjoint de la FFF.
L’an dernier, une trentaine d’entraîneurs chinois ont été en stage à Metz pendant quinze jours. Avant eux, Zhang Yuning, qui porte aujourd’hui le maillot du Vitesse Arnhem, était passé par le centre de formation de Moselle. Un joueur qui a connu son heure de gloire cet hiver en devenant le premier Chinois à marquer dans le championnat néerlandais. Dernier partenariat en date, celui signé en mars entre le Toulouse Football Club et le club de Shenzhen.
Les Chinois se donnent vingt ans pour réussir. Le temps, pour une génération d’écoliers, de produire ses premiers ambassadeurs. Après tout, l’équipe nationale féminine, entraînée par le Français Bruno Bini, s’est bien qualifiée pour les prochains jeux Olympiques et est arrivée en huitième de finale lors de la dernière Coupe du monde.
Sauf qu’il va falloir remettre le foot chinois au carré. Gangrené par la corruption et les matchs truqués, il traîne depuis trop longtemps une sale réputation. Le plus grand scandale s’est achevé en 2014, après dix ans d’instruction. La manipulation a concerné dix-huit rencontres du championnat de Belgique, devenu la proie d’une mafia chinoise. Tout le monde en convient, c’est le principal frein à l’avènement de la Chine comme superpuissance mondiale du foot.
A en croire l’agence Chine nouvelle, le Guangzhou Evergrande serait devenu le club le plus cher du monde. Avec une valeur marchande de 3 milliards d’euros, il devancerait le Real Madrid, tenant du titre, d’après le dernier classement du magazine Forbes. C’est une opération réalisée sur une Bourse secondaire chinoise, où est coté le club, qui aurait fait grimper sa capitalisation.
Propriété du promoteur immobilier Evergrande Real Estate, le club est le porte-drapeau des ambitions de la Chine dans le football. Pas seulement parce qu’il a créé la plus grande académie de foot du monde. Champion de Chine, il est entraîné depuis un an par le Brésilien Luiz Felipe Scolari, et compte quelques stars internationales. Parmi elles, on trouve l’attaquant colombien Jackson Martinez, transféré en février pour 42 millions d’euros de l’Atletico Madrid… propriété du chinois Wanda.
Un parcours sans faute, qui a incité le géant du commerce en ligne Ali-baba à investir, aux côtés d’Evergrande, 1,2 milliard de yuans en 2014. Deux actionnaires qui seraient impliqués dans la cession de l’AC Milan à un groupe d’investisseurs chinois.
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