Existe-t-il un droit, voire un devoir d’ingérence de l’Etat dans les affaires sportives ? Ou le sport doit-il conserver une «autonomie» par rapport au politique et au droit commun ? La question mérite d’être posée.
Fille du projet olympique, l’«autonomie du sport» a été revendiquée par Pierre de Coubertin dès 1909, qui déclarait que « Le faisceau, formé par les bonnes volontés de tous les membres d’un groupement autonome de sport, se détend sitôt qu’apparaît la figure géante et imprécise de ce dangereux personnage qu’on nomme l’Etat ».
Ce n’est toutefois qu’en 1949 que le mot «autonomie» apparaît expressément dans la Charte olympique et plus particulièrement dans son article 25. « Etre indépendant et autonome » devient une règle et la condition de la reconnaissance des Comités Nationaux Olympiques (CNO).
Si le texte de cette Charte a évolué depuis cette époque, le principe d’autonomie, lui, n’a fait que se renforcer. Toutes les fédérations affiliées au CIO ont dû l’intégrer à leurs statuts fondateurs. Et aujourd’hui, la quasi-totalité des sports pratiqués dans le monde est gouvernée par l’idée que le sport doit s’auto réguler, en dehors de toute ingérence politique.
Ce principe est défendu avec une extrême vigueur par les fédérations sportives internationales. La suspension du Comité Olympique indien par le CIO en 2012, les déboires du Ministre des sports ivoirien Alain Lobognon avec les instances du sport international en 2013 et la suspension du Koweït par le CIO et la FIFA en 2016, sont autant d’exemples d’ «ingérences politiques» dans les affaires du sport qui ont été traitées manu militari.
Paradoxalement, ce principe d’autonomie est parfois revendiqué par… les Etats eux-mêmes. Durant l’été 2016, la Russie acculée par l’Agence mondiale anti-dopage et le CIO suite au rapport McLaren l’accusant de dopage d’Etat, regrettait par la voix de Vladimir Poutine une ingérence «dangereuse» de la politique dans le sport. Pour le président russe, «la forme de cette ingérence a changé, mais le but est le même : faire du sport un instrument de pression géopolitique».
En théorie, l’objectif du principe d’autonomie est clair : les fédérations et autres organisations internationales gouvernant le sport seraient des personnes morales à statut extraordinaire, dans tous les sens du terme, dont la mission serait de protéger le sport des gouvernements. En résumé, le sport, pourtant un instrument-clé des politiques publiques, échapperait à l’autorité politique, pour être placé sous celle d’associations privées de droit suisse. En pratique, cependant, ce principe est largement remis en cause.
Certes, les fédérations sportives internationales restent, dans certaines limites, maîtresses de leurs règles statutaires. Elles peuvent librement déterminer leurs buts, leurs structures et leur fonctionnement. Elles demeurent également en contrôle des règles techniques relatives à la pratique de leur sport. Malgré leur immense pouvoir politique, ni Vladimir Poutine ni Donald Trump ne sont, par exemple, en capacité de définir des règles du hors-jeu différentes pour la Russie et les USA, en matière de football.
Les fédérations restent maîtresses des règles relatives à l’organisation des compétitions et des règles disciplinaires qui les accompagnent. Si tant est qu’elles ne violent pas des principes fondamentaux du droit. Car c’est la limite de plus en plus souvent posée à l’autonomie du sport : si une fédération sportive internationale en vient à adopter des décisions contraires aux principes de droit international ou de droit européen, le juge la sanctionne. Cette «normalisation» est en marche partout dans le monde, pour toutes les disciplines sportives et leurs fédérations.
Des organisations et fédérations internationales aussi prestigieuses que le CIO, la FIFA, l’UEFA et récemment l’IAAF l’ont apprise à leurs dépens. Certains de leurs dirigeants aussi, sont lourdement tombés de leur piédestal.
Cette «normalisation» ne va pas sans résistance. En 1996 à Rome, suite à la gifle de l’arrêt Bosman de 1995 qui «libéralisait» les transferts dans le foot, un groupe de dirigeants sportifs s’est réuni pour promouvoir le concept de «l’exception sportive». Le sport relèverait d’une «spécificité» par rapport aux autres activités humaines. Il y aurait donc une exception sportive, comparable à l’exception culturelle, qui lui permettrait d’échapper à certaines règles de droit applicables à d’autres secteurs de la vie économique. Puisque le sport perd l’ «autonomie» dont il pensait être doté par nature, il tente de regagner le terrain perdu en se déclarant «exceptionnel». Les défenseurs de l’«exception sportive» expliquent que si le droit de la concurrence, si le droit commercial, fiscal ou social… en bref, si le droit commun venait à s’appliquer au sport, cela dénaturerait son essence même. Il deviendrait une activité comme une autre, et perdrait donc son âme. L’argument n’a pas convaincu les juges. La raison d’être des fédérations sportives internationales est de réglementer leur sport. Mais elles doivent le faire en respectant la règle de droit. Toute autre solution n’est plus acceptable, et ne sera plus acceptée dans les prétoires. La parenthèse ouverte par Coubertin avec l’idée d’un sport «autonome» se referme. Une autre histoire commence.
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