La Coupe du monde est terminée depuis deux semaines et la reprise des différents championnats européens est proche. Les joueurs ayant participé à la compétition s’étant déroulée au Brésil ont tous plus ou moins rejoint leurs clubs respectifs qu’ils ont quitté, pour certains, pendant quasi six semaines.
Six semaines durant lesquelles ils auront été placés dans une situation particulière puisqu’ils auront été payés par leurs clubs tout en étant placés sous la responsabilité de leurs fédérations nationales. Le moment est approprié pour se poser la question du cadre juridique qui fut le leur durant cette période.
Un joueur ne peut pas se soustraire à une sélection nationale
Il est tout d’abord bon de rappeler que les compétitions internationales sont réglementées par la FIFA et notamment, pour ce qui relève de la participation des joueurs, par l’annexe 1 du statut du joueur. Cette annexe, dénommée « Mise à disposition des joueurs pour les équipes représentatives des associations » prévoit ainsi qu’un club n’a pas d’autre choix que celui de « mettre à disposition » ses joueurs sélectionnés pour une compétition internationale, dès lors que celle-ci est inscrite dans le calendrier de la FIFA.
Le règlement en question prévoit même le nombre de jours de mise à disposition. Pour ce qui relève de la Coupe du monde, l’article 1.4 e) de cette annexe prévoit d’ailleurs que les joueurs avaient l’obligation de rejoindre leurs sélections nationales au moins 14 jours avant le match d’ouverture.
Un joueur blessé qui n’aurait pas pu répondre à une convocation de son équipe nationale, aurait alors dû se soumettre à un examen médical de sa fédération (article 4). Cette disposition du statut du joueur a pour objectif d’éviter que le club puisse instrumentaliser son médecin en vue de soustraire l’un de ses joueurs à une sélection nationale.
En cas d’irrespect de l’une ou l’autre de ces obligations, la FIFA prévoit toute une série de sanctions qui peuvent notamment prendre, pour le joueur, la forme d’amendes. Concernant le club qui n’aurait pas libéré son joueur pour une sélection nationale, les articles 5 et 6.2 de cette annexe 1 prévoient des sanctions extrêmement lourdes dont celle consistant à donner comme perdu tout match du club en question auquel le joueur aurait participé durant la saison, qu’il s’agisse d’un match de championnat ou d’un match de coupe.
Par ailleurs, la FIFA stipule dans l’article 2 de cette annexe 1, que les clubs n’ont le droit à aucune indemnisation financière pour la mise à disposition de leurs joueurs et que c’est de surcroît à eux qu’incombe la responsabilité de les assurer. Ils pourront cependant, dans certaines circonstances, bénéficier d’une indemnisation en cas de blessure du joueur, contractée durant sa sélection.
En d’autres termes, un joueur convoqué par sa fédération, ne saurait échapper à une sélection nationale. Il s’agit d’une obligation qui est tout autant incontournable pour lui qu’elle est impérieuse pour son club.
Une fois sélectionné, le joueur international est placé sous la responsabilité de sa fédération
Une fois qu’il rejoint sa sélection, le joueur international bascule totalement sous la responsabilité de sa fédération. Il s’entraînera avec un autre staff et répondra aux instructions qui lui seront données par ce dernier. Il mangera, dormira, voyagera en fonction du programme qui lui sera imposé par sa fédération.
Il répondra aux interviews de la presse selon des modalités définies par sa fédération et il fera face aux obligations envers les partenaires commerciaux et autres sponsors de la fédération en question selon des règles que cette dernière aura fixées.
Ces instructions ne pourront en aucun cas être remises en cause par le club du joueur. Les joueurs sélectionnés reçoivent par ailleurs des primes en fonction de leurs résultats.
Le lien unissant la FFF aux joueurs de l’équipe de France est-il hiérarchique ?
La Cour de Cassation eut, en 2009, à se prononcer sur la question de savoir si les joueurs de l’équipe de France de Football pouvaient être qualifiés de salariés de la Fédération Française de Football (FFF). De la réponse à cette question découlait notamment l’obligation ou non pour cette dernière de reverser à l’URSSAF des cotisations sociales.
Pour l’URSSAF, les joueurs de l’équipe de France avaient bien la qualité de salariés. Ils devaient donc être assujettis au régime général de la sécurité sociale et leur employeur (la FFF) devait conséquemment verser les cotisations afférentes.
La Cour de cassation a cependant repoussé cette argumentation faute pour l’URSSAF d’avoir pu démontrer le lien de subordination entre la FFF et les joueurs de l’équipe de France.
Cet arrêt de la Cour de cassation était et reste très critiquable. On imagine en effet mal un joueur de l’équipe de France refuser de suivre les instructions de Didier Deschamps ou de son staff, de ne pas aller aux soins quand il lui est indiqué de s’y rendre, d’aller au restaurant quand il veut pour y manger ce qu’il veut, de voyager d’une ville à l’autre en dehors du cadre et des horaires prescrits par la FFF, de se loger dans un autre hôtel que celui réservé par la fédération, etc…
Un revirement de jurisprudence qui serait moins favorable à la FFF est donc envisageable. Et ce d’autant plus que la Cour de cassation s’est depuis lors prononcée sur une question similaire en la tranchant d’une manière opposée à son arrêt de 2009.
Les joueurs de l’équipe de France au regard de l’arrêt Koh Lanta
En effet, par un arrêt du 25 juin 2013, la Cour de cassation a considéré qu’une candidate ayant participé à Koh Lanta, célèbre jeu de TF1, était liée à la société de production par un contrat de travail en caractérisant l’existence d’un lien de subordination entre elles.
La Cour de cassation releva en effet que le jeu, s’il constituait bien l’une des obligations des participants, n’était pas leur seule obligation. Ces derniers devaient également participer à des interviews sur leur ressenti, à des portraits visant à les présenter aux téléspectateurs, à des scènes documentaires dans lesquelles ils pouvaient apparaître, ou encore des scènes de tournage au cours desquelles ils étaient amenés à voter pour éliminer l’un d’entre eux.
En d’autres termes, la Cour de cassation confirma l’interprétation de la Cour d’appel qui avait eu à connaître de cette affaire et selon laquelle les candidats sont bien subordonnés à la société de production et donc soumis à un contrat de travail.
La lecture de cet arrêt, ramenée à la situation des joueurs de l’équipe de France dans leurs relations à la FFF, nous amène à penser que si la problématique devait être de nouveau soumise à la Cour de cassation à la lumière de sa dernière jurisprudence en la matière, il y aurait alors lieu de penser que celle-ci considérerait qu’il existe bel et bien un lien de subordination entre la FFF et les joueurs de l’équipe de France.
Quelles seraient les principales conséquences de voir la FFF devenir l’employeur des joueurs de l’équipe de France ?
Si tel devait être le cas, la FFF devrait alors rémunérer les joueurs pour le temps passé avec l’équipe de France et faire face aux charges sociales et fiscales y afférentes. Les clubs, de leur côté, n’auraient plus à payer leurs joueurs sélectionnés pour les jours d’indisponibilité lors desquels ils auront été mis à disposition de leur fédération.
La FFF et les clubs auraient alors probablement à négocier un niveau de rémunération acceptable de telle sorte que celui-ci ne soit pas aligné sur la rémunération versée par les clubs, sûrement démesurée à l’échelle d’une fédération.
Cet accord devrait également, dans un deuxième temps, être étendu au niveau de la FIFA pour qu’un joueur non Français ne voit pas son salaire rester impayé par son club français durant sa mise à disposition auprès de sa fédération nationale et ne pas être payé non plus par cette dernière, faute d’accord en ce sens.
Surtout, le football n’essaierait pas de nouveau de se soustraire au droit commun. Cette stratégie qui consiste à penser que le sport n’est pas une activité comme les autres et qu’il peut donc être traité juridiquement de manière différenciée, a fait son temps.
Le sport est devenu une activité économique a part entière, animée par des acteurs qui sont des acteurs économiques puissants.
On ne comprendrait donc pas que ce qui vaut pour une PME lambda ne puisse pas valoir pour les clubs de football professionnels et pour leur fédération. Ou que ce qui vaut pour TF1 et un candidat à l’émission Koh Lanta puisse ne pas valoir pour la FFF et un joueur de football professionnel.
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