SPORT – La FIFPro, le syndicat international des joueurs de football professionnels, présidée par le Français Philippe Piat, vient tout juste de déposer une plainte devant la Commission européenne contre le système des transferts mis en place, géré et contrôlé par la FIFA.
Du joueur prisonnier de son club…
Chacun a son passé. Et le mien avant de devenir avocat a été celui d’un jeune joueur de football. J’ai modestement fréquenté les équipes de France de jeunes, le centre de formation de l’Olympique Lyonnais et son groupe pro. Et puis j’ai choisi les études. J’ai donc tout naturellement refusé de signer un contrat d’aspirant puis de stagiaire professionnel.
Mon premier interdit professionnel est arrivé très vite. Sollicité par d’autres clubs professionnels moins exigeants au regard des études, je n’ai pas pu assouvir ma passion. On m’a alors expliqué qu’il était hors de question que mon club me libère pour un club concurrent. Tout simplement parce que les clubs professionnels avaient alors entre eux des accords de non sollicitation les assurant qu’un club ne viendrait pas “débaucher” les jeunes joueurs des clubs concurrents.
Les clubs étaient alors tout puissants face aux joueurs. Les transferts étaient peu nombreux et leur intérêt économique quasi nul. Je vous parle de la fin des années 80.
Si aujourd’hui j’évoque ce passé, c’est que plus tard, alors que j’étais jeune avocat, j’entrais dans le “dossier big bang” des transferts. Je devenais l’un des conseils de la Commission européenne qui avait décidé d’intervenir en appui de la demande de Marc Bosman, joueur professionnel du RFC Liège, pour contester le système des transferts le considérant comme contraire au droit de l’Union européenne. J’avais vécu comme jeune joueur les affres du système. Au-delà de la bataille juridique qui s’engageait, j’avais par conséquent pour Marc Bosman en particulier et pour les joueurs en général, une sympathie non dissimulée.
…à sa libération provisoire…
En l’occurrence, Marc Bosman voulait quitter le RFC Liège pour rejoindre le club de Dunkerque. Ce transfert s’avérait cependant impossible du fait de l’indemnité de transfert réclamée par le club belge au club français.
C’est donc ce système que la Cour de Justice a déclaré, à juste titre, contraire au droit européen et à la libre circulation des travailleurs.
Nous étions alors en 1995. La FIFA voulu croire pendant un certain temps qu’il s’agissait ici d’un épiphénomène. Mais s’engouffrant dans la brèche de l’arrêt Bosman, plusieurs plaintes furent déposées auprès de la Commission européenne. Celle-ci décida alors d’ouvrir une enquête approfondie sur les règles de la FIFA concernant les transferts internationaux de footballeurs.
Ce que la FIFA espérait éviter après l’arrêt Bosman en 1995 devenait inévitable avec l’enquête de la Commission européenne en 1998.
Le système des transferts devait évoluer. Il fallait négocier avec la Commission européenne. La FIFA, l’UEFA et les grandes fédérations nationales de football trainèrent les pieds mais finirent par se mettre autour de la table.
L’histoire ne se terminait pas ici pour moi puisque je participais alors à ces négociations cette fois-ci en tant que conseil de l’UEFA. Ces négociations durèrent 2 ans et furent particulièrement pénibles, tant il semblait impensable pour les instances du football qu’une autorité puisse interférer dans leur fonctionnement qu’elles pensaient alors souverain.
Un accord entre la FIFA, l’UEFA et la Commission européenne fut finalement formalisé le 5 mars 2001. La Commission décida de clore ses enquêtes en cours. A charge pour la FIFA de mettre cet accord en pratique.
La nouvelle réglementation sur les transferts internationaux fut finalement adoptée par le comité exécutif de la FIFA le 5 juillet 2001. La FIFA et la FIFPro trouvèrent un accord sur la participation de cette dernière à la mise en œuvre de ces nouvelles règles, qui rentrèrent finalement en vigueur le 1er septembre 2001.
Les fédérations nationales, dont la FFF, tentèrent dans un dernier baroud d’honneur de faire obstruction au départ des jeunes joueurs en formation. Ceci donna lieu au fameux arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, “Olivier Bernard contre Olympique Lyonnais”. Avocat du joueur, j’essayais alors en vain d’expliquer aux instances françaises qu’elles allaient perdre une affaire qui allait les forcer à modifier leurs règles dans l’urgence. Mais rien n’y fit. Le 16 mars 2010 je faisais condamner mon club formateur. L’histoire prend parfois des détours surprenants.
…assorti d’un contrôle judiciaire
Cet accord de 2001 semblait équilibré et protecteur des joueurs, puisqu’il prévoyait, entre autres, que les contrats doivent être d’une durée minimale d’un an et maximale de cinq ans et qu’ils doivent être protégés pendant une période de trois ans jusqu’à l’âge de 28 ans et de deux ans par la suite.
En d’autres termes, les joueurs pouvaient être transférés, contre indemnités, durant des périodes bien définies (mercato estival et hivernal), des indemnités de formation furent également prévues ainsi qu’un mécanisme de solidarité avec le monde amateur permettant aux clubs fréquentés par les joueurs professionnels transférés de recevoir une partie du montant payé par le club acheteur. Les contrats des joueurs devaient être protégés sur des périodes définies dans l’accord, le tout devant se passer sous la surveillance de la FIFPro.
Mais ce que l’accord de 2001 n’avait cependant pas complètement anticipé, fut l’émergence d’un football business exacerbé par l’arrivée de chaines de télévision prêtes à payer très cher le droit de retransmettre les compétitions.
Les transferts ne furent alors plus seulement pour les clubs un moyen de se renforcer sportivement. Ils devinrent aussi un moyen pour eux de se renforcer économiquement. Il suffit pour s’en convaincre d’étudier les chiffres de la FIFA à ce sujet. Lors de la saison 1994/95, la dernière de l’ère pré-Bosman, le montant total des transferts internationaux s’élevait à 402.869.000 euros. Ce total dépassera vraisemblablement les 4 milliards cette saison.
Certains clubs, aux premiers rangs desquels nous trouvons ceux des championnats de France de Ligues 1 et 2, ne peuvent d’ailleurs plus équilibrer leurs comptes sans transférer leurs meilleurs joueurs chaque saison.
Par conséquent, dès lors que les transferts sont devenus économiquement vitaux pour la performance sportive et économique des clubs, voire parfois plus simplement pour leur survie, ces derniers se sont mis à s’écarter des termes de l’accord de 2001 signés entre la FIFA, l’UEFA et la Commission européenne.
La sécurité des contrats des joueurs n’est plus assurée. Certains sont poussés à quitter leurs clubs alors même qu’ils sont toujours sous contrat, simplement parce que leurs employeurs ont besoin de l’indemnité de transfert correspondante. A tel point d’ailleurs que le monde du football considère dorénavant qu’un club qui laisserait partir un joueur en fin de contrat, sans l’avoir vendu avant et sans avoir récupéré une indemnité de transfert, aurait fait preuve de mauvaise gestion.
Or c’est justement ce que la FIFPro conteste. Elle a appelé à de très nombreuses reprises les clubs à changer leurs pratiques. Philippe Piat a ainsi déclaré que “malgré le temps laissé aux ligues et aux clubs professionnels européens, aucune réponse positive n’a pu être apportée aux exigences de réforme, concernant notamment l’application du système illégal des transferts de la FIFA, un système, nous n’arrêtons pas de le répéter, qui ne respecte pas les exigences de la Commission Européenne, communiquées à la FIFA, le 5 mars 2001”.
La FIFPro sait par ailleurs que la Commission européenne, inquiète de ces dérives, à commandé une étude sur la question, qui lui a été remise en 2013 et qui confirme l’analyse du syndicat international des joueurs.
La dernière fois que la Commission européenne s’est penchée sur la question, c’était pour soutenir la démarche de Marc Bosman auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne contre le RFC Liège. J’étais alors l’un des conseils de la Commission européenne.
Je suis, ironie de l’histoire, devenu 15 ans plus tard l’un des administrateurs du RFC Liège. Ce qui me donne sur ces 20 dernières années un regard je l’espère avisé, mais en tout état de cause amusé.
La conclusion de tout cela me semble être que 20 ans après l’arrêt Bosman, on ne peut être que d’accord avec le célèbre historien Georges Lefebvre lorsqu’il disait que “la seule leçon que l’histoire prétend donner, c’est qu’il n’y a pas de leçons de l’histoire”.
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