SPORT – L’UEFA vient de nouveau de sanctionner le Barça, le mythique club catalan, parce que certains de ses supporters ont brandi des drapeaux catalans et par voie de conséquence indépendantistes dans son stade, le 29 septembre dernier lors d’un match de Ligue des Champions. Dans un contexte compliqué pour le Barça comme pour la Catalogne, la réponse du club a été cinglante : ce sera une guerre judiciaire sans merci.
Or, ce match UEFA – Barça qui se déroulera en dehors des terrains de football, pourrait bien être salutaire pour tous ceux qui auront envie de voir plus loin que le bout de leurs chaussures à crampons.
Car de quoi s’agira-t-il en l’occurrence ?
Il s’agira d’abord et surtout de la capacité souvent auto-proclamée des instances sportives à adopter des règles dérogatoires du droit commun. En l’occurrence, le “Règlement disciplinaire” de l’UEFA stipule en son article 14.7 que “la propagande idéologique, politique et religieuse sous toutes ses formes est interdite”. S’ensuivent un certain nombre de sanctions prévues en cas d’infraction à cette règle.
C’est ainsi que le Barça avait déjà été condamné à 30.000 euros d’amende la saison dernière après que des supporters catalans eurent agité des drapeaux indépendantistes lors de la finale de la Ligue des Champions à Berlin, l’ayant opposé à la Juventus de Turin. Le Barça avait alors décidé de ne pas faire appel de cette sanction et avait engagé le dialogue avec l’UEFA expliquant en substance que l'”estelada” (drapeau catalan) est un symbole légitime et reconnu y compris par l’Etat espagnol.
L’UEFA n’avait pas été sensible à ces arguments et avait confirmé la sanction.
La deuxième sanction à l’encontre du Barça qui vient d’être prononcée pour des faits identiques et qui a pris cette fois la forme d’une amende de 40.000 euros, a été très mal vécue en Catalogne.
Pour le président du Barça, Josep Maria Bartomeu, l’UEFA porte atteinte “à l’un des droits les plus basiques de la démocratie: la liberté d’expression. On a sanctionné le Barça pour avoir permis, pour n’avoir pas empêché qu’un certain nombre de socios expriment leurs sentiments de manière pacifique avec un symbole (…) qui n’encourage pas la violence, n’est interdit dans aucun autre endroit et représente un sentiment identitaire légitime”.
Et s’il avait raison ? Et si l’UEFA violait les règles fondamentales établies notamment dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme ? Lors de la tragique affaire Charlie Hebdo, certains d’entre nous en France et ailleurs, ont lu et relu l’article 10 de cette convention sur la liberté d’expression. Cet article stipule dans son paragraphe 1 que “Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…).” Son paragraphe 2 contient bien des dispositions permettant de la restreindre, mais on n’y trouve rien qui permette à l’UEFA d’empêcher les supporters du Barça de brandir leurs drapeaux indépendantistes.
On comprend toutefois aisément le souci de l’UEFA de vouloir restreindre ce genre de manifestations pour des raisons de sécurité. Personne ne souhaite en effet voir des stades se transformer en lieux d’affrontements entre franges de soi-disant supporters qui ne viendraient assister à un match de football que pour en découdre à propos de questions nationalistes.
Mais les raisons sécuritaires ne sauraient justifier une entrave à la liberté d’expression.
De surcroît, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a une jurisprudence constante et claire en la matière. Ainsi, dès son arrêt Handyside contre Royaume-Uni du 7 décembre 1976, la Cour considérait que “La liberté d’expression constitue l’un des éléments essentiels (d’une société démocratique), une des conditions primordiales de son progrès et l’épanouissement de chacun. (…) elle vaut non seulement pour les ‘informations’ ou les ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique”.
Cette explication de la CEDH est depuis lors reprise en chœur par les tribunaux partout en Europe. Et le 7 janvier dernier, l’Europe entière, pour ne pas dire plus, a compris si besoin en était, grâce à Charlie Hebdo, l’importance d’une telle interprétation du droit à la liberté d’expression.
Par conséquent, un supporter catalan doit pouvoir brandir son drapeau indépendantiste dans la rue, en Catalogne, tout comme dans le reste du monde et exprimer son opinion sur le devenir de sa région. Il peut d’ailleurs le faire partout en Europe, y compris à Madrid.
Il devrait donc aussi pouvoir le faire dans un stade.
L’UEFA a des droits, mais elle a aussi des devoirs. Dont celui de respecter le droit commun.
Et ce qui vaut pour l’UEFA, instance vertueuse, vaut bien entendu aussi pour la FFF, la LFP et bien entendu pour la FIFA.
Souhaitons donc que le président du Barça, Josep Maria Bartomeu soit assez fou pour aller au bout de ses intentions. Car finalement, comme le disait Craig Tanimoto, “seuls ceux qui sont assez fous pour vouloir changer le monde y parviennent”.
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