Thierry Granturco, membre du think tank Sport et Citoyenneté et Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles
L’intervention des institutions européennes dans le débat sur la gouvernance des fédérations sportives a été considérée comme une « ingérence » par certains. La question aura été débattue avec plus ou moins de passion et de contradiction selon le sport considéré et le pays dans lequel se pose la question. Mais il est peu de dire que, depuis quelques années, le débat engagé à ce sujet par la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est devenu prégnant.
Il peut être utile de rappeler que le sport s’est d’abord organisé sous forme associative. De telle sorte que, un peu partout en Europe, les organisations chargées de leur gestion ont pu jouir d’emblée d’une grande autonomie fondée sur les lois nationales garantissant la liberté d’association. Elles ont ainsi établi leur indépendance par rapport aux gouvernements nationaux et ont progressivement autorégulé leurs disciplines et, à travers elles, le secteur socio-économique du sport. Ce n’est toutefois qu’en 1949 que la notion d’« autonomie » est apparue explicitement dans la Charte olympique.
Bien qu’elle ait évolué avec le temps, elle a fait de la non-ingérence des pouvoirs publics dans les affaires sportives une nécessité constante et absolue. Tout semblait aller dans le meilleur des mondes. Mais voilà : le sport s’est aussi entre-temps fortement développé en tant qu’activité économique. Et si l’autonomie du sport s’entend bien dès lors que nous évoquons les règles du jeu ou l’organisation des compétitions, elle s’entend nettement moins bien lorsqu’il s’agit d’évoquer les faits de gestion de ces associations au regard du droit commercial, du droit de la concurrence et de toute autre règle de droit commun. C’est en tout cas ce qu’ont considéré la Commission européenne et la CJUE dans une jurisprudence depuis lors bien établie et visant à s’assurer que les actes et décisions des fédérations sportives respectent le traité UE.
Il est ainsi possible de tirer comme conclusions des arrêts Walrave (1974, cyclisme), Donà (1976, football), Bosman (1995, football), Deliège (1996, judo), Lethonen (1999, basketball) et Meca-Medina (2006, natation) que la législation européenne ne s’applique pas aux règles « intéressant uniquement le sport » en ce qu’elles sont étrangères aux activités économiques visées par le traité UE. Le problème réside cependant dans le fait qu’il n’est pas toujours aisé de délimiter les règles intéressant uniquement le sport de celles qui peuvent avoir un impact autre que sportif, et notamment économique, et qui les feraient du coup tomber dans le champ d’application du traité UE.
Pour autant, le sport est-il en droit de revendiquer une autonomie d’une ampleur telle qu’elle le soustrairait au droit commun ? N’est-il pas plutôt de la responsabilité des fédérations sportives, nationales comme internationales, de s’assurer qu’elles agissent dans le cadre de la loi ? Quand le CIO affirme que « l’autonomie est une nécessité […] car elle garantit la préservation des valeurs du sport […], l’intégrité des compétitions, […] l’éducation des jeunes et la contribution au bien-être de tous […] contribuant ainsi à sa crédibilité et à sa légitimité », il nous est permis de nous poser un certain nombre de questions. En effet, nombreuses sont les fédérations nationales et internationales dont la gestion et la gouvernance ont fait fi, ces dernières décennies, de toutes considérations d’éthique, de transparence et de probité. Il est donc difficile pour nos concitoyens, sportifs ou pas, d’encore considérer la gouvernance sportive comme étant a priori crédible et légitime. La Fifa et l’IAAF, deux fédérations internationales de premier plan, sont en effet là pour leur rappeler tous les jours depuis des mois qu’ils sont en droit d’avoir des doutes à cet égard. La crédibilité et la légitimité sont des valeurs qui ne se décrètent pas. Elles s’affirment par les textes et se vérifient dans les faits.
Réagir à l’intervention du pouvoir judiciaire dans les affaires sportives en demandant une « exception sportive » à la législation, notamment européenne, sous prétexte d’une « spécificité du sport » n’est pas la réponse à laquelle nous devrions pouvoir nous attendre de nos dirigeants. En tout cas plus aujourd’hui. Alors disons définitivement oui à l’autonomie du sport dès lors qu’elle concerne la seule organisation de l’activité sportive. Mais refusons-la résolument dès lors qu’elle concerne son organisation économique. Ne nous soustrayons pas au droit commun. Acceptons-le et adaptons nos pratiques. Soyons des sportifs, mais des sportifs citoyens et responsables.
Partager cette page