SPORT – La gouvernance du foot français est en grande souffrance depuis plusieurs années. La Ligue de football professionnel (LFP) donne quant à elle l’impression d’être moribonde, dirigée de surcroît par un président qui a perdu toute autorité sur cette institution. Si tant est qu’il en ait eu une un jour. Les tensions entre les différents acteurs du football français se sont cependant exacerbées ces dernières saisons. Il semble donc plus que temps de considérer qu’un système a vécu et de développer une vision de ce que pourrait être le système de gouvernance de demain pour le foot français.
Ainsi, au même titre que les Anglais ont révolutionné leur football au début des années 1990 avec la création de la Premier League, championnat qui domine aujourd’hui le football mondial, les clubs français n’auraient-ils pas intérêt à créer leur Première Ligue ?
Bien que liés, les intérêts du foot amateur et du foot professionnel sont devenus durablement divergents
Quel est le joueur de foot qui n’a pas été bercé par les doux propos des dirigeants du football de ces dernières décennies selon lesquels football amateur et football professionnel ne feraient qu’un ? Que l’un ne serait rien sans l’autre ? Il est en effet vrai que le foot professionnel est nourri des meilleurs amateurs comme il est vrai que les revenus du foot professionnel servent à développer le foot amateur. De telle sorte que l’on pourrait penser que le système s’autonourrirait de ses complémentarités.
Toutefois, si la solidarité du foot professionnel avec le foot amateur ne doit pas être remise en cause, il est grand temps que tous deux se recentrent sur leurs compétences et leurs raisons d’être. Le football professionnel est devenu un secteur économique en tant que tel. Qu’on le veuille ou non. Les clubs professionnels sont des entreprises commerciales, employant chacune des dizaines quand ce n’est pas des centaines de personnes. Ces clubs sont parfois cotés en bourse et peuvent dégager des chiffres d’affaires d’un demi-milliard d’euros par an pour les plus grands d’entre eux.
Mais au même titre qu’on ne saurait attendre des entreprises françaises qu’elles financent les universités sous prétexte qu’elles emploient leurs diplômés, le football amateur ne saurait attendre du football professionnel qu’il continue à être l’une de ses principales sources de financement sous prétexte que les joueurs professionnels ont d’abord été amateurs. Les intérêts des uns ne sont pas les intérêts des autres.
Il faut donc que la gouvernance du football français de demain en tienne compte et qu’une plus grande liberté d’action soit donnée au football professionnel. Au niveau législatif d’abord, par exemple en retirant le numéro d’affiliation des clubs professionnels de leur partie associative (un club de football professionnel étant aujourd’hui obligatoirement constitué d’une association et d’une société commerciale) pour le donner à leur partie professionnelle. Au niveau décisionnel ensuite afin que les clubs professionnels gagnent en indépendance par rapport à la Fédération Française de Football (FFF) pour ce qui relève de leur organisation et surtout de leur développement.
Le football professionnel doit pouvoir créer une élite au sein de l’élite
Une fois ces distances, relatives, prises avec le foot amateur, le football professionnel devrait pouvoir créer en son sein une super élite parmi l’élite. En effet, que les clubs de Ligue 1 (L1) veuillent gérer leur développement de manière différenciée et distincte de ceux de Ligue 2 (L2) peut se comprendre.
Mais la discussion actuelle entre eux au sujet du nombre de descentes et de montées d’une ligue à l’autre, qui terminera probablement devant les tribunaux, montre à quel point la réflexion sur le football de demain est consternante. Le rapport de MM Dreossi et Saint-Sernin, commandité par la LFP et l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF), prône l’instauration d’un certain nombre de mesures pour rendre la L1 plus compétitive qui doivent faire joyeusement rire outre-Manche et outre-Rhin. En réalité, ce rapport pourrait se résumer comme suit : puisque nous avons échoué à rendre notre L1 compétitive, tentons de sécuriser les revenus de ceux qui y ont investi en limitant le risque financier que leur ferait prendre une relégation en L2.
Ceci n’est pas acceptable. Le droit d’accéder à l’élite et d’y rester doit se gagner sur le terrain et nul part ailleurs. L’économie du football professionnel est intrinsèquement dépendante des résultats sportifs puisque les ressources financières des clubs dépendent fortement de leurs performances sur le terrain. Les clubs bénéficient en effet de droits TV plus substantiels en L1 qu’en L2 et, l’exposition médiatique y étant plus grande, ils attirent conséquemment plus de sponsors et génèrent plus de revenus commerciaux que leurs homologues de L2. Dès lors, réduire la possibilité pour les clubs de L2 d’accéder à la L1 est, à tous points de vue, une hérésie.
C’est de surcroît un message désastreux passé aux clubs amateurs se rêvant un avenir professionnel.
La sécurité financière recherchée par les clubs de L1 pourrait par contre venir d’une augmentation très sensible des revenus de leur championnat. Mais pour parvenir à un tel résultat, nul doute que la LFP n’est pas l’institution idoine. Les Anglais ont montré qu’en créant, le 20 février 1992, la Premier League sous forme de société commerciale dont les clubs professionnels sont les actionnaires, indépendante de leur fédération (la Football Association) et de leur Ligue professionnelle (la Football League), ils ont pu faire passer leurs droits TV de 267 millions d’euros pour la période 1992-1997 à… 6,9 milliards d’euros pour la période 2016-2019. Là où les droits TV du foot français seront de 748,5 millions d’euros pour la période 2016-2020.
Ceci sans parler de la vente de ses droits sur d’autres continents et des revenus annexes que peuvent tirer les clubs anglais de leur popularité au niveau mondial.
Faire bouger les lignes
Pour cela, il faudrait oser faire bouger les lignes, remettre en cause des droits acquis, affaiblir des intérêts personnels et braver les opinions.
La France est, comme ce fut démontré entre autres par une étude menée au niveau européen en 2013 par le Think Tank “Sport et Citoyenneté”, le pays ayant la politique du sport la plus interventionniste au sein de l’Union européenne. Si cet interventionnisme de l’Etat a pu produire des effets certains sur le sport français en général, il a commencé à produire des effets néfastes sur le football français en particulier depuis une bonne douzaine d’années.
Il y a un temps pour penser et il y en a un autre pour se dire les choses : les clubs français ont au fil des ans accumulé un retard sans cesse grandissant avec leurs homologues des grands pays européens. La situation de la France sur la scène du football européen serait quasi catastrophique sans le PSG. La LFP, sous la présidence de Frédéric Thiriez, en place depuis 2002 et 3 mandats, a donc échoué à rendre notre football compétitif. Dont acte !
Si M. Thiriez venait à obtenir un 4e mandat à la présidence de la LFP pour continuer la politique qui est la sienne depuis 13 ans, les dirigeants du football français qui l’auraient réélu seraient alors les premiers responsables de cette décision malheureuse. Comme le disent les avocats – et M. Thiriez est bien placé pour comprendre le sens de cet adage – nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
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