La Ligue de Football Professionnel (LFP) vient de prendre la décision d’introduire la goal-line technology en Ligue 1 (L1) dès la saison prochaine. C’est un petit pas pour le footballeur, mais c’est un grand pas pour le football.
La vidéo au cours des matches de football expliquée à un extra-terrestre
S’il fallait expliquer la problématique à un extra-terrestre, il conviendrait d’abord de lui faire comprendre que lorsque nous parlons de vidéo dans le football, nous ne parlons pas de ces milliards de téléspectateurs qui peuvent accéder aux images des matches en direct, à vitesse réelle, au ralenti et à des actions disséquées sous l’angle de dizaines de caméras. Nous ne parlons en fait que des joueurs impliqués dans la rencontre filmée et des quelques arbitres et autres délégués qui sont supposés en assurer le bon déroulement. Car eux n’y ont pas accès.
Et bien entendu, n’y ayant pas accès, il arrive parfois aux arbitres de faire des erreurs de jugement qui peuvent changer la tournure d’une rencontre et influer considérablement sur son résultat final.
Un extra-terrestre éclairé ne manquerait donc pas de nous poser la question de savoir pourquoi diable ces images ne sont pas mises à disposition des arbitres et pourquoi nous nous offusquons chaque saison, année après année, des décisions malheureuses qui ont pu être prises par ces derniers. Ils les trouveraient d’ailleurs sûrement bien courageux d’accepter de se soumettre chaque week-end aux jugements impitoyables des joueurs, de leurs entraîneurs et de leurs présidents quand ce n’est pas de consultants et autres journalistes à la langue bien pendue ou aux plumes bien acérées.
Sans parler des supporters, spectateurs et téléspectateurs à qui l’on donne les moyens technologiques de vérifier quasi en temps réel les décisions prises par ces hommes en noir.
Il faudrait donc tenter de lui faire comprendre que la pertinence d’introduire la vidéo dans le football a fait l’objet, sur la planète football, de débats passionnés depuis une bonne vingtaine d’années. S’y sont opposés d’une part des soi-disant puristes ou réactionnaires pour lesquels la faute d’arbitrage ferait partie du jeu et pour lesquels introduire la vidéo dans le foot dénaturerait l’essence même de ce sport et, d’autre part, des soi-disant progressistes ou révolutionnaires pour lesquels il n’y a pas ou plus de raison de se satisfaire d’une erreur d’arbitrage lorsqu’on peut l’éviter.
Tous sont a priori des gens intelligents, de bonne foi et honnêtes. Ce qui ne les empêche pourtant pas d’être en désaccord. Un pas vient cependant d’être franchi pour les rapprocher les uns des autres par l’intermédiaire de ce qui ressemble à un compromis a minima.
Quelle vidéo pour quels matches?
Les arbitres peuvent prendre plusieurs décisions susceptibles d’influencer le résultat final d’un match. Il s’agit du franchissement ou pas de la ligne de but par le ballon, de l’octroi ou pas d’un penalty, de la décision de donner ou pas un carton rouge à un joueur et il peut également s’agir de déterminer si un joueur était ou pas en position de hors-jeu. Les mots “ou pas” ont en l’occurrence toute leur importance et sont ceux qui, en règle générale, génèrent les débats entre puristes et progressistes, entre réactionnaires et révolutionnaires.
La LFP vient donc de décider d’introduire la goal-line technology dès la saison prochaine en vue de régler l’un des cas mentionnés ci-dessus, à savoir le franchissement ou pas de la ligne de but par le ballon.
Il est vrai que cette technologie a déjà été utilisée dans des compétitions internationales et européennes majeures. Elle a donc fait ses preuves, elle a déjà été introduite dans le championnat anglais et le sera la saison prochaine en Allemagne. La Belgique et les Pays-Bas devraient également l’introduire très prochainement et seront suivis par de nombreux autres championnats en Europe car le mouvement semble effectivement irréversible.
La France du football ne pouvait donc pas donner, encore, l’impression d’être à la traîne. Malgré le coût envisagé, estimé à 200.000 euros par stade sans compter les frais de personnel y afférents, la L1 devrait être prête à sauter le pas dès le mois d’août prochain. La L2 devra attendre quelque peu et nous pouvons le comprendre eu égard aux difficultés financières rencontrées par les équipes jouant un championnat encore trop peu visible.
Toutefois, la goal-line technology est-elle vraiment une réponse aux problèmes rencontrés par les arbitres et au-delà de ces hommes respectables, par le football en règle générale ? En partie seulement. Car rares sont les cas de litiges relatifs au franchissement de la ligne de but par le ballon. Cette saison, nous retiendrons essentiellement le but marqué par l’Olympique de Marseille contre l’Olympique Lyonnais, qui ne fut pas accordé aux Marseillais et qui aurait changé le résultat final de cette rencontre terminée sur le score nul de 0 à 0 (alors qu’il aurait pu être remporté 1-0 par l’OM si la goal-line technology avait été disponible). Par contre, combien de penalties litigieux auront été sujets à discussions cette saison ? Ceux qui devaient être accordés et qui ne l’ont pas été ? Ceux qui ont été accordés et qui n’auraient pas dû l’être ? Combien de buts ont été accordés alors qu’un joueur était hors-jeu ? Combien de buts ont été refusés pour des hors-jeu imaginaires ? Sans parler des cartons rouges dégainés trop vite ou non sortis alors qu’ils auraient dû l’être.
Bref, l’introduction de la goal-line technology va dans le bon sens. Mais présentée par la LFP comme une réponse aux polémiques entourant l’arbitrage, elle s’avérera très vite être insuffisante.
Alors pourquoi ce petit pas pour le footballeur reste-t-il un grand pas pour le football ?
La vidéo dans le football est nécessaire à son développement économique
Tout d’abord parce que si le football est un sport, il est depuis lors également devenu un véritable spectacle régi par l’image. Si l’on devait s’en tenir au seul football français, nous pourrions alors constater que 49% des recettes des clubs français proviennent des sommes versées par les chaînes de télévision ayant acquis les droits de retransmission. 11 % proviennent de la billetterie, à savoir du prix payé par les supporters pour assister aux matches dans les stades au sein desquels ils se jouent. Sans compter les sponsors qui représentent quant à eux 16% du chiffre d’affaires global des clubs français et dont le but principal est d’être visibles des téléspectateurs et spectateurs des matches joués par les clubs qu’ils soutiennent.
Soit un total de 76% des revenus des clubs liés au spectacle qu’ils produisent et à leur visibilité.
En d’autres termes, football et images sont intrinsèquement liés. De telle sorte qu’il est impossible dorénavant d’imaginer un football professionnel sans télévision.
Les clubs qui veulent se développer économiquement au-delà des recettes précitées ont deux solutions: le merchandising (ventes de maillots et autres produits dérivés) et leurs stades.
Avoir de nouveaux stades en propriété est effectivement devenu un leitmotiv pour la plupart des grands clubs français comme étrangers. Or, le business des stades inclue une capacité à être connecté et pour les spectateurs d’y capter entre autres… l’image !
En d’autres termes, chassez l’image, elle revient au galop.
Aujourd’hui, le spectateur dans un stade peut voir un ralenti d’une action d’un match auquel il est en train d’assister via son téléphone portable. Demain, il ne pourra pas voir ses images ; il devra les voir ! Cela fera partie du service offert par les clubs à leurs spectateurs.
Les joueurs et leurs entraîneurs sont quant à eux informés dès la mi-temps des erreurs d’arbitrage commises durant la première période. Tout comme les arbitres bien souvent. Alors que les erreurs d’arbitrage commises en deuxième période sont connues des intéressés avant même qu’ils aient pris leur douche.
Ne pas étendre l’utilisation de la vidéo dans le football est donc sportivement intenable.
Ne pas étendre l’utilisation de la vidéo dans le football est également économiquement inévitable.
Alors autant commencer tout de suite à penser à la meilleure manière de s’en accomoder.
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