Actif dans le milieu du football professionnel depuis plus de vingt ans après avoir lui-même tâté le ballon en jeunes à l’OL, Thierry Granturco est avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles. Spécialiste du droit du sport, il défend entraîneurs et membres de staffs techniques victimes de licenciement. À le croire, les clubs font étalage de beaucoup de lacunes juridiques.
Quel est le champ d’application du nouveau CDD spécifique aux entraîneurs depuis la loi de novembre 2015 ?
La nouvelle loi sport répond à un vrai besoin pour les clubs, qui est l’instauration de CDD non requalifiables en CDI pour les entraîneurs. Rien qu’en décembre et janvier dernier, Auxerre et Lorient ont vu les contrats de leurs coachs requalifiés en CDI. L’affaire concernait des coachs de leurs centres de formation dont ils s’étaient séparés. Ils avaient mal géré la multiplication des CDD et s’étaient pris les pieds dans la procédure à respecter. En novembre 2014, l’arrêt Padovani avait aggravé la situation : la Cour de cassation avait rejeté le grand principe de l’aléa du sport, derrière lequel les clubs se retranchaient. L’aléa du sport, c’est l’idée que l’on devrait pouvoir mettre fin aux contrats des coachs en fonction de l’évolution des compétitions. En gros, si un entraîneur n’obtient pas les résultats escomptés, un club devrait être en droit de s’en séparer facilement. La Cour de cassation avait tranché dans le sens contraire, en rappelant : « Ça a beau être du sport, il n’y a pas de raison qu’un travailleur ne puisse pas bénéficier de la fameuse règle qui veut qu’après 2 CDD, il y ait un CDI. » À partir de cet arrêt Padovani, tout le monde s’est mis à courir dans tous les sens. C’était un peu la consternation dans le foot. Du coup, en novembre 2015, on a la nouvelle loi sport, qui cette fois-ci restreint le pouvoir de la Cour de cassation, en tout cas son pouvoir d’interprétation. Elle instaure le CDD non plus comme un usage, mais comme un droit. Ce qui change tout. On peut désormais légalement multiplier les CDD dans le domaine de la relation club-entraîneur.
Vous dites que neuf clubs sur dix se plantent dans les procédures de licenciement. C’est-à-dire ?
Il y a encore plein de clubs qui ne respectent pas, et on s’en aperçoit quand on va aux prud’hommes, la procédure de conciliation obligatoire devant la LFP. Neuf clubs sur dix aujourd’hui licencient leur coach en donnant la priorité au code du travail : on convoque pour un entretien préalable, on signifie le licenciement et derrière on va à la LFP. Sauf qu’on a oublié en réalité que la conciliation devant la LFP doit s’intercaler entre l’entretien préalable et le licenciement effectif. Elle doit intervenir avant le licenciement. La très grande majorité des clubs font les choses dans le désordre. Il n’y a que les clubs très bien structurés, ceux qui font appel à des avocats ou qui ont des juristes en interne, qui arrivent à respecter la chronologie des actes de procédures. Les autres se mettent en danger.
Vous avez des exemples concrets ?
La Cour de cassation estime que si la procédure devant la LFP n’est pas respectée, le licenciement est nul. Dans un système où les clubs raisonnent en matière de relation employeur/employé, et où on vire souvent le coach dans la presse avant de le licencier effectivement, le plus souvent sans respecter la conciliation préalable devant la LFP… Vous imaginez le bazar ! Pour vous donner un exemple, Loulou Nicollin sort une déclaration ravageuse sur le licenciement de son coach. Il n’a pas fait d’entretien préliminaire, et il ne l’organise qu’après, parce qu’il faut essayer de donner une forme juridique acceptable à la rupture de contrat. Mais il suffirait que le coach s’arc-boute sur ses droits pour que le licenciement soit nul. Un licenciement nul, ça veut dire que le coach est réintégré dans ses droits. Et que donc l’engagement du coach suivant est sans effet. Ça ne s’arrangerait pas un énorme chèque, parce que le club n’aurait plus de leviers de négociation. Mais voilà, on est dans un domaine où les résultats de la compétition, mêlés à la passion, font qu’on prend des décisions totalement contraires au droit. Et très régulièrement, on voit des petites jurisprudences qui passent, mais qui n’attirent plus l’attention. Parce que c’est fini, le coach est viré, un autre est arrivé, puis il y a une journée de championnat. Mais très souvent, dans l’arrière-scène, se déroulent des batailles judiciaires qui se terminent le plus souvent au détriment du club, qui doit payer son imprudence et un licenciement trop précipité.
Pour vous, avocat, ça doit être facile…
L’imprudence des clubs est du pain béni pour les avocats qui défendent les entraîneurs. Les clubs auraient beaucoup plus intérêt à se mettre autour de la table avec les avocats et à s’entendre dire : « Voilà la situation et combien ça coûte. » Pour trouver une solution à l’amiable. Le problème, c’est que dans le foot, on n’y arrive pas. Le coach est viré dans le vestiaire ou parce que le président a mal dormi. Un licenciement est très rarement concerté, comme ça peut être le cas en entreprise. Comment voulez-vous arriver à une conciliation quand le coach a été viré avec perte et fracas ? Les clubs sont des entreprises comme les autres. En théorie. Mais, et c’est le milieu qui veut ça, les présidents agissent toujours dans l’urgence. Le contre-exemple que j’ai, c’est l’arrêt Puel. L’Olympique lyonnais a pris le temps de licencier son coach comme il le fallait. Claude Puel a pensé pouvoir se servir des ficelles dont je vous parlais, à savoir la chronologie des procédures, avec la conciliation préalable devant la LFP, pour faire annuler son licenciement. Mais la Cour de cassation a estimé qu’elle avait été respectée. Ce n’est pas très surprenant quand on connaît à quel point l’OL est architecturé en interne.
On voit souvent des présidents conforter publiquement des coachs en cas de résultats difficiles, au point que ça en devient parfois risible. Pour quoi faire ?
Pourquoi conforter un coach ? C’est un ressort psychologique. C’est du management. Quand Aulas conforte mon ami Bruno Génésio, il veut lui faire gagner un peu de tranquillité. Pour que le coach ne se retrouve pas au match suivant avec le trouillomètre à zéro. Mais on sait tous que, parfois, ça veut dire l’inverse ! Là aussi – quand un président conforte son entraîneur publiquement pour le virer un mois après –, c’est du pain béni pour l’avocat du coach. Au tribunal, vous dites que vous avez une déclaration publique de l’employeur qui, 15 jours plus tôt, disait qu’il était pleinement satisfait de son employé… En droit français, un licenciement doit être motivé, or quand un président réitère publiquement sa confiance deux semaines avant de virer quelqu’un, et que derrière il cherche une faute grave, c’est compliqué.
Quel est le cas le plus passionnant que vous ayez eu à traiter ?
L’un des cas les plus marquants que j’ai eu à traiter, c’était à Saint-Étienne il y a quelques années. Quand le club avait licencié l’entraîneur, les adjoints et le préparateur physique. Le préparateur physique avait déjà signé dans un autre club. Il l’avait fait avant la fin de la procédure. Dans l’ensemble de l’équipe, tout le monde a gagné, sauf lui. Le juge a estimé qu’il n’avait pas le droit à des dommages et intérêts. À un jour près, il aurait pu empocher 250 000 euros de plus d’indemnités. D’où l’importance du respect de la chronologie voulu par le droit.
Au fait, comment en êtes-vous venu à ces problématiques ?
Je suis un ancien stagiaire professionnel. Je suis passé par le centre de formation de l’OL. Quand j’ai arrêté, parce que Raymond Domenech, qui coachait l’OL à l’époque, m’a demandé de choisir entre ma carrière de footballeur et mes études de droit, mes premiers dossiers ont été ceux de collègues. Mon premier dossier a été celui d’Alain Caveglia. Avec l’âge sont venus les dossiers des coachs. Plus que les joueurs, les entraîneurs français forment un tout petit milieu, donc le bouche-à-oreille s’opère très vite. Des avocats avec une connaissance des réseaux du foot et une sensibilité du vestiaire, il n’y en a pas énormément. J’ai enfilé les crampons bien avant d’enfiler ma robe d’avocat. Et ça change tout.
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