L’égalité homme–femme doit-elle s’appliquer aux salaires du foot? La fédération norvégienne de football vient de trouver un accord pour que les membres de ses équipes nationales masculine et féminine reçoivent une rémunération identique. L’accord a été salué dans le monde entier. Il est même cité comme un exemple à suivre. Et pourtant, il cache une réalité bien différente de la vérité officielle. Qu’en est-il réellement? Et pourquoi, partout sur la planète, les salaires des joueurs et des joueuses de football sont-ils aussi différents? Explication.
Inégalité commerciale
En Norvège, le football féminin est, depuis toujours, bien plus performant que le football masculin. Alors que l’équipe masculine n’a jamais remporté de titre majeur au cours de son histoire, l’équipe féminine a été championne d’Europe en 1987 et en 1993, championne du monde en 1995, et championne olympique en 2000.
Pourtant, jusqu’à présent, les joueurs de l’équipe nationale masculine norvégienne étaient bien mieux rémunérés que leurs homologues féminins. La raison de cette inégalité est simple: le football masculin bénéficie en Norvège, comme presque partout dans le monde, de revenus commerciaux supérieurs à ceux que le football féminin, et donc les équipes nationales féminines, parviennent à capter.
C’est en renonçant à ces revenus commerciaux, se montant à 59 000 euros par joueur, que l’équipe nationale masculine de football norvégienne a permis à l’équipe féminine d’obtenir la même dotation de sa fédération. Soit une dotation de 640 000 euros par an, pour la totalité de l’équipe.
De l’égalité à l'”équité”
Cela, c’est la vérité officielle. Mais elle cache une réalité bien différente. Car si le revenu “de base” versé par la fédération devient le même, les revenus tirés des compétitions jouées par les sélections nationales masculine et féminine, et qui sont versés par l’UEFA et la FIFA, restent – pour reprendre les termes de Joachim Waltin, le représentant des joueurs et joueuses norvégiens – “équitables”, mais certainement pas “égaux”.
Ces revenus sont “équitables”, dans le sens ou chaque équipe reçoit 25% des revenus versés à la fédération norvégienne par l’UEFA et par la FIFA. Mais ils ne sont pas “égaux”, puisque ces 25% ne portent pas du tout sur les mêmes sommes. Et reflètent des réalités bien différentes, selon que l’on parle du football féminin ou du football masculin.
A titre d’exemple, la FIFA a versé 35 millions de dollars à la fédération allemande après la victoire de son équipe masculine lors de la Coupe du monde organisée au Brésil, en 2014. Mais elle n’a versé “que” 2 millions de dollars à la fédération américaine, suite à la victoire de son équipe féminine à la Coupe du monde organisée au Canada, en 2015.
Dans ces conditions, on comprend que si les salaires “de base” versés par la fédération norvégienne de football aux joueurs et joueuses de ses sélections nationales sont bien identiques, les revenus globaux des joueurs et des joueuses, restent profondément inégalitaires.
Deux marchés différents
Doit-on s’en offusquer? Non. Pas si on prend en compte que la Coupe du monde masculine organisée au Brésil en 2014 a rapporté 4,8 milliards de dollars à la FIFA, alors que la Coupe du monde féminine de 2015 organisée au Canada n’a rapporté, elle, “que”… 300 millions de dollars.
Autrement dit, s’il existe bien un rapport de 1 à 17 entre les revenus versés aux fédérations championnes du monde en 2014 et 2015, il existe un rapport – symétrique – de 1 à 16 entre les revenus générés par ces deux compétitions.
En réalité, le football féminin et le football masculin relèvent, comme la plupart des autres sports, de marchés économiques distincts. Vouloir le nier est vain. Vouloir contraindre le marché du sport masculin pour l’aligner de force avec le sport féminin n’a pas de sens.
Travailler sur le long terme
Doit-on pour autant renoncer à toute forme de promotion des femmes dans le football ? Certainement pas.
Mais l’outil de la rémunération n’est, en revanche, pas le plus approprié sur le court terme. Et il ne constitue pas, de loin, la bataille prioritaire. Il faut, en réalité, travailler sur le long terme. En ouvrant la gouvernance du sport aux femmes. En s’assurant que les fédérations nationales, européennes et internationales, octroient les moyens nécessaires au développement du foot féminin. En demandant aux chaînes de télévision publiques, en France comme à l’étranger, de donner au sport féminin la visibilité qu’il mérite. Ces efforts permettraient sur la durée au sport féminin de se développer et de créer des conditions économiques attractives, et pérennes, pour les sportives.
Rien n’empêche d’ici là les Bleus, qui sont par ailleurs extraordinairement bien payés dans leurs clubs respectifs, d’imiter leurs collègues norvégiens et d’abandonner une partie de leurs revenus perçus via la Fédération Française de Football, pour aligner leur rémunération “de base” sur celle de leurs collègues féminines, les Bleues. Une mesure qui représenterait un petit pas – mais un pas décisif – vers l'”équité” des sexes.
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