Le monde du football français s’est récemment félicité de la position de la FIFA visant à interdire la détention par des fonds privés de droits de transferts de certains joueurs. Des joueurs tels que Neymar, Falcao, James Rodriguez, Tevez et autres stars mondiales du ballon rond appartiennent ou ont appartenu à de tels fonds.
Mais des Français comme Eliaquim Mangala récemment transféré à Manchester City pour 54 millions d’euros et Geoffrey Kondogbia actuellement à Monaco, n’ont pas non plus échappé à ce système né en Amérique du sud et arrivé en Europe au début des années 2000.
Notre propos n’est pas en l’occurrence de savoir si de tels montages juridiques sont acceptables au regard d’une pratique éthique du football. Il n’est pas non plus de savoir s’ils favoriseraient le blanchiment d’argent comme certains le disent de manière fort imprudente.
Ils visent, plus généralement, à attirer l’attention de ceux qui ont pris l’habitude de crier avec les loups, sur le fait que nombreuses sont les pratiques juridiques et financières mises en place par les clubs français, placés sous la responsabilité de la Fédération Française de Football (FFF) et de la Ligue de Football Professionnelle (LFP), elles-mêmes exerçant leurs responsabilités sous l’égide du Ministère des Sports, qui sont pourtant juridiquement répréhensibles.
La tierce propriété des joueurs est interdite en France
Certes, la France est avec l’Angleterre et la Pologne, l’un des seuls pays à avoir interdit cette pratique. Les règlements de la LFP stipulent en effet qu'”un club ne peut conclure avec des personnes morales, à l’exception d’un autre club, ou physiques, une convention dont l’objet entraîne […] une cession ou une acquisition totale ou partielle des droits patrimoniaux.”
Toutefois, cette pratique qui sera prochainement prohibée par la FIFA est-elle pour autant illégale ? Alors même qu’elle l’avait autorisée jusqu’ici, à la condition que le tiers détenteur des droits n’ait pas “la capacité d’influer sur l’indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes”, la FIFA s’apprête à la bannir non pas pour des raisons juridiques mais bien parce que le système de la tierce propriété remet son pouvoir de gestion des clubs en cause.
En effet, comment avoir la maitrise du système des transferts des joueurs quand parties des sommes qui transitent lors des mouvements de joueurs échappent aux clubs vendeurs et acheteurs ? Comment par ailleurs pour l’UEFA défendre son système de Fair-Play Financier quand de tels montages permettent à certains clubs de recruter avec l’aide de tiers ?
En tout état de cause, il sera intéressant de voir comment la FIFA passera d’un régime d’autorisation de la tierce propriété sous condition à un système d’interdiction. Car comme l’Association Internationale des Avocats du Football le disait il y a quelques mois encore, une interdiction pure et simple serait contraire au droit européen.
Quid des prêts de joueurs ?
Par ailleurs, si un club n’a pas les moyens de recruter, avec ou sans l’aide d’une tierce partie, encore peut-il essayer de se faire prêter un joueur par un autre club.
Cette pratique des prêts entre clubs est devenue relativement commune, au niveau national comme au niveau international. Un jeune joueur d’un club de Ligue 1 (L1) qui a besoin de s’aguerrir pourra être prêté en Ligue 2 (L2), voire en championnat National. De même, un joueur confirmé mais n’entrant plus dans les plans de son entraîneur pourra être prêté à un club du même niveau que le sien.
Or, si ces prêts sont soumis aux règlements de la FFF et de la LFP, ils n’en restent pas moins des prêts de main-d’œuvre au sens des articles L 8241-1 et suivants du Code du travail. Dit autrement, les clubs sont aussi des entreprises commerciales employant des joueurs qui sont leurs salariés. Par conséquent, les uns et les autres n’échappent pas aux règles du droit du travail.
Or, comme l’a récemment mis en exergue une étude fort intéressante du Centre de droit du sport d’Aix-Marseille, si la loi encadre strictement la mise à disposition des salariés entre entreprises, son adaptation aux spécificités du sport professionnel devrait être possible dans la mesure ou, le plus souvent, le prêt est réalisé dans l’intérêt du joueur.
Toutefois, le droit requiert en toutes circonstances, pour le football et son système de prêts de joueurs y compris, une obligation dite de « neutralité économique », à savoir que le club prêteur ne saurait prendre en charge tout ou partie de la rémunération du joueur.
Nous aurons donc compris que la très grande majorité des prêts de joueurs en France se réalise en infraction des règles de notre Code du travail. Car les clubs prêteurs de Ligue 1, par exemple, ne pourraient faire muter temporairement leurs joueurs sous forme de prêts dans un club de Ligue 2, sans soutenir financièrement l’opération. Un salaire d’un joueur de Ligue 1 est généralement bien supérieur à celui d’un joueur de Ligue 2 et un club de Ligue 2 ne saurait conséquemment accueillir en prêt un joueur de Ligue 1 si tout ou partie de son salaire n’était pas pris en charge par le club prêteur.
Les dirigeants de la FFF et de la LFP le savent… peut-être. Les dirigeants de clubs en ont conscience… ou pas. Mais il est peu de dire qu’il est plus facile de critiquer la tierce propriété des joueurs, principalement pratiquée à l’étranger, que de s’interroger sur les règles franco-françaises de prêts de joueurs.
Plus généralement, la relation de travail entre clubs et joueurs est souvent illégale
Les largesses prises par les clubs de football français avec les règles du droit du travail ne se limitent pas au système de prêts de joueurs. Pour s’en convaincre, nous pourrions nous contenter de citer le Ministre des Sports, avocat de son métier, qui déclarait récemment que:
“hormis pour les joueurs de L1 et ceux des clubs de L2 les mieux structurés, on rencontre des cas préoccupants, avec des conditions de travail précaires, voire carrément illégales. Prenons le contrat à durée déterminée dit “d’usage”. Il comporte le plus souvent une clause qui permet, au bout d’un an, à chacune des deux parties de rompre cet engagement sans aucune condition. C’est illégal. Autre illustration: très souvent, quand un joueur arrive en retard à l’entraînement, il doit s’acquitter d’une amende prélevée sur son salaire. Or, en droit du travail, toute sanction pécuniaire est interdite. Les joueurs ont aussi obligation de s’entraîner tous les jours, ils jouent le week-end. Ont-ils un jour de repos? Pas toujours. Le droit du travail est violé parce qu’il est inadapté aux nécessités du sport.”
M. Braillard pose les bonnes questions. Comme il l’avait fait à l’époque du dossier Luzenac. Et il faut le remercier de dire clairement les choses. Car effectivement, un joueur reste un salarié. Et malgré les conditions économiques très avantageuses dont certains, à très haut niveau, bénéficient, il ne faut pas perdre de vue que nombreux sont ceux qui vivent des carrières précaires et des après-carrières qui le sont encore plus.
Rien ne justifie donc a priori qu’ils ne puissent pas bénéficier de droits à congés ordinaires. Rien ne justifie qu’ils soient soumis à des systèmes de sanctions illégaux de la part de leurs employeurs.
Et rien ne justifie non plus qu’ils aient à signer des contrats de travail en infraction avec les règles communes du droit du travail.
Toutefois M. Braillard se méprend en partie sur les conclusions qu’il convient de tirer de son constat. Car si le code du travail pourrait effectivement prévoir quelques mesures dérogatoires visant le secteur professionnel du sport (sous forme législative ou via conventions collectives), c’est avant tout aux acteurs du sport professionnel de s’adapter à un cadre juridique de droit commun dont ils ont décidé seuls, sans raison objective, convaincus de leurs spécificités, de s’écarter.
Alors effectivement, le système de la tierce partie détentrice de droit sur des joueurs est peut-être critiquable, même si pas nécessairement illégal. Certes, convient-il de s’en préoccuper pour, si ce n’est l’interdire, du moins l’encadrer fermement au niveau international et européen.
Mais une fois ceci fait, n’oublions pas que le football français a bien d’autres problèmes à régler qui ne dépendent ni de la FIFA, ni de l’UEFA.
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