Nous avons tous vécu la demi-finale de la Coupe du monde, France-Belgique, à notre manière. Pour ma part, je l’ai vécue avec les yeux de l’ancien joueur de haut niveau que j’ai été ainsi qu’avec ceux de l’avocat dans le monde du football et actionnaire d’un club de football, que je suis devenu. Avec les yeux aussi de celui qui a connu les épopées de 1982 et 1986 – “Waouh, le vieux !”, a l’habitude de me dire mon fils cadet – mais également la victoire de 1998 et la finale de 2006. Bref, avec des yeux de technicien un peu blasés. C’est bon, quoi, ce n’est qu’une demi-finale!
Mes fils sont quant à eux nés en 1998 et en 2006. Deux années lors desquelles les Bleus ont atteint la finale de la Coupe du Monde. J’ai bien vu en 1998, cet incroyable élan de tout le pays derrière son équipe. Cette fierté, que nous partagions tous, toutes générations et toutes classes sociales confondues, ce moment où la France redevenait la France. Un pays beau, généreux, uni, à la hauteur de son histoire. On voit rarement son pays heureux. Là, et pour le dire simplement, mon pays était heureux.
Je regardais de loin les uns et les autres crier, sauter, faire la fête et communier. Sans en être. Car j’avais un bébé dans les bras, mon premier, et pour moi le monde avait changé à jamais. Je regardais la victoire par la fenêtre.
Mais en 2018, le papa que je suis devenu vient enfin de comprendre quelque chose. 20 ans plus tard, le 10 juillet, au soir de France-Belgique. Et ce que j’ai compris, je l’ai compris en regardant les yeux de mes enfants. Deux paires d’yeux rivés sur l’écran de la TV, écarquillés à chaque attaque française, deux jeunes supporters français, mes fils, anxieux à chaque percée belge, commentant la moindre action, sautant du canapé devant l’écran à chaque tentative avortée de nos attaquants et courant autour de ce même canapé pour se jeter dedans en se prenant dans les bras lors du but d’Umtiti. Les yeux plus que brillants, ils ont vécu la plus belle soirée de football de leur vie. Une soirée inoubliable qu’ils ont voulu aller prolonger dans les rues de la petite ville de Normandie où nous habitons, Villers-sur-mer. Ils ont retrouvé d’autres Villersois, d’autres Français, pour continuer le match, avec leurs frères d’un soir. Et pour communier avec eux.
Je ne soupçonnais pas que mes fils étaient capables de vivre avec autant d’intensité et d’émotion un match de l’équipe de France. Je ne soupçonnais pas qu’ils étaient de ceux qui peuvent sortir dans la rue avec un drapeau français pour fêter une belle victoire de nos Bleus. Je ne soupçonnais pas, non plus, à quel point j’étais passé à côté de quelque chose de beau, et de fort, en 1998. C’est peu de dire que je suis reconnaissant à Didier Deschamps des émotions qu’il nous offre. Qui peut se vanter d’avoir fait vibrer la France, tout un pays, deux générations de Français, à 20 ans de distance?
Alors, vous voyez mes fils, être champion du monde, ce n’est pas quelque chose qu’il faut vivre comme votre père l’a fait. En réalité, cela pourrait ressembler après la finale, ce dimanche 15 juin, à ce que vous avez vécu lors de ce France-Belgique. En encore plus fort! C’est accepter de faire partie d’une expérience collective, de partager ses espoirs et ses émotions avec ses amis et avec tous ceux qui le veulent bien.
En fait, je n’ai rien à vous expliquer. Vous avez tout compris. Bien mieux que moi. Alors que ce France-Croatie soit beau!
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