SPORT – Michel Platini sera entendu par la commission d’appel de la FIFA le 15 février prochain.
Il est peu de dire qu’il occupe la scène médiatique en France depuis de nombreux mois. Et rarement, dans l’actualité sportive, a-t-on pu entendre et lire autant de contre-vérités. Certaines d’entre-elles furent à n’en pas douter calculées. D’autres furent plus spontanées mais tout aussi néfastes à la bonne compréhension de cette affaire. Peu furent en tout cas ceux qui osèrent aborder la question avec intégrité.
Alors essayons de nous prêter à l’exercice.
Non, la procédure de la FIFA subie par Sepp Blatter et Michel Platini n’est pas exceptionnelle
La première chose qui frappe l’observateur, en France, est cette impression que Michel Platini serait soumis à une procédure particulière qui n’aurait eu comme ultime but que celui d’annihiler son ambition de devenir président de la FIFA. C’est peut-être effectivement le cas.
Mais si Michel Platini a bien dû abandonner son rêve de succéder à Sepp Blatter, il est toutefois difficile de ne pas constater que cette procédure, que lui et ses avocats ne cessent de critiquer, a été à l’époque validée dans tous ses termes par le Comité Exécutif de la FIFA (donc par Sepp Blatter et Michel Platini eux-mêmes) et qu’elle a été adoptée par le Congrès de la FIFA, à savoir par les 209 fédérations membres de cette fédération internationale. Donc, par la Fédération Française de Football (FFF) également.
Alors ?
Non, cette procédure ne s’applique pas qu’à Sepp Blatter et Michel Platini
Outre qu’elle n’est pas née avec l’affaire Blatter-Platini, cette procédure a déjà été appliquée par ailleurs à d’autres officiels de la FIFA. Le Français Jérôme Valcke, ex-secrétaire général de la FIFA et tout récemment licencié par cette dernière, en sait quelque chose. Tout comme le Chilien Harold Mayne-Nicholls, également ex-officiel de la FIFA, qui fut suspendu pour une durée de 7 ans le 6 juillet 2015.
Or, si la situation de Jérôme Valcke retient quelque peu l’attention des uns et des autres, il est peu de dire que celle d’Harold Mayne-Nicholls n’aura pas fait couler beaucoup d’encre. S’est-on soucié jadis des droits de la défense du Chilien ? S’est-on interrogé à ce moment-là sur les procédures internes de la FIFA ? Soyons honnêtes : on s’en fichait royalement.
Pourtant, ces procédures ne sont pas appliquées différemment à Michel Platini qu’elles ne le sont à Jérôme Valcke aujourd’hui et qu’elles ne l’ont été à Harold Mayne-Nicholls hier ainsi qu’à d’autres avant-hier.
Alors ?
Non, les délais ne sont pas anormalement longs
Par ailleurs, qu’avons-nous entendu sur les différentes étapes de cette procédure, dont la durée n’aurait eu pour but que de gêner Michel Platini dans ses projets de devenir président de la FIFA. Mais encore une fois, comment ne pas constater que les différentes étapes de ces procédures sont écrites noir sur blanc dans les règlements de la FIFA? Comment, en d’autres termes, s’étonner qu’elles soient tout simplement respectées ?
Comment ne pas identifier non plus, à l’examen de la “jurisprudence” de la FIFA, que les temps de traitement des dossiers qui lui sont soumis sont effectivement longs ? Et que finalement, si une analyse rigoureuse devait être effectuée à cet égard, elle aboutirait en réalité à la conclusion que le cas de Michel Platini a été traité bien plus rapidement que celui de n’importe quel autre officiel devant la FIFA ?
Alors ?
Non, un contrat oral entre deux parties n’est pas une situation normale
Quand nous aurons compris que le traitement procédural des faits imputés à Michel Platini n’est pas particulier, pour le moins dans le cadre de la FIFA, nous serons peut-être plus disposés à concevoir que sa situation, si elle peut éventuellement être juridiquement acceptable, n’en reste pas moins anormale. Qui, en effet, du boulanger avec son apprenti, de la PME avec le moindre stagiaire ou de l’administration avec le moindre conseiller, pourrait se permettre de passer un contrat oral dont les termes ne seraient pas confirmés par écrit ? Dont les montants seraient supérieurs à la grille des salaires de l’organisation ? Dont partie des montants n’auraient jamais été budgétisés ?
Les avocats de Michel Platini tenteront de prouver qu’il n’y a ici rien de juridiquement répréhensible. Peut-être. Gageons toutefois qu’à l’UEFA, à la FFF et partout ailleurs où les règles de gouvernance ne sont pas que de simples mots plus ou moins savamment rédigés, aucun conseiller n’aurait pu se retrouver dans la situation dans laquelle se trouve Michel Platini aujourd’hui.
Et qu’il le veuille ou non, pour passer un contrat, même oral, dans des conditions aussi particulières que celles qu’il défend aujourd’hui, il faut être au moins deux.
Ceci étant dit…
Alors comment expliquer ce sentiment d’injustice ? D’où vient vraiment le problème ?
Tout d’abord, du fait que la concomitance des problèmes rencontrés par Michel Platini avec l’élection à la présidence de la FIFA est effectivement troublante. Et cette concomitance continuera à faire crier au complot tous ceux qui préfèreront voir l’arbre plutôt que la forêt.
Il vient ensuite du fait qu’il est surprenant de voir une FIFA longtemps inefficace à identifier et combattre la corruption et, plus généralement, les comportements inacceptables de ses dirigeants, s’en prendre aujourd’hui avec rage et détermination à Michel Platini.
Et il vient ensuite, surtout pour les professionnels du droit, du fait que les règles de la FIFA sont dérogatoires du droit commun et qu’elles sont effectivement, à bien des égards, insupportables pour tous ceux qui ont l’habitude de se battre pour faire respecter les droits fondamentaux des joueurs, dirigeants, clubs et autres fédérations sportives.
Mais que les avocats de Michel Platini se rassurent : des règles comme celles établies par la FIFA, qu’ils ne cessent à juste titre de critiquer avec virulence, existent également à l’UEFA, dont Michel Platini est encore président et à la FFF dont le même Michel Platini a été vice-président. Des appels suspensifs qui ne sont pas suspensifs, des appels qui ne sont pas véritablement des deuxièmes degrés de juridiction, des commissions qui n’ont d’indépendantes que le nom en passant par des règles ouvertement contraires à des textes aussi fondamentaux que la Convention Européenne des Droits de l’Homme ou au droit de l’Union européenne… La panoplie de l’incongruité juridique est complète.
Nous avons accepté depuis des décennies de donner un pouvoir d’auto-régulation et d’auto-gestion à des fédérations sportives qui en ont largement abusé. Elles édictent leurs propres règles de fonctionnement, leurs propres règles de gestion et leurs propres règles de contrôle. De telle sorte que la FIFA est à la fois un Parlement, un gouvernement et une Cour des comptes. Ne nous étonnons donc pas de la voir vivre dans une sorte d’autarcie juridique que seul le juge de droit commun, lorsqu’il est saisi, se permet parfois de remettre en question.
A tel point d’ailleurs que Sepp Blatter et Michel Platini qui ont promu ces règles hier, les abhorrent aujourd’hui et ont déjà fait savoir qu’ils les contesteront demain devant les tribunaux fédéraux suisses. Quelle ironie ! Comme s’il avait finalement fallu que ces règles s’appliquent à eux pour qu’ils comprennent à quel point elles peuvent être intolérables.
On a quand même un peu le droit à l’émotion et à l’intuition
Voilà ! C’est dit !
Mais nous avons quand même le droit de nous rappeler avec émotion les grands moments que Michel Platini a fait vivre au football en général et au football français en particulier. Ceux de ma génération ne pourront jamais oublier les coupes du Monde 1982 et 1986 et le sacre européen de 1984. Certains souhaitent donc, avec émotion et compassion, que Michel Platini sorte indemne de cette infâme procédure et qu’il continue à présider aux destinées de l’UEFA.
Ceux qui préféreront l’intuition à l’émotion se diront que Michel Platini n’a pas pu vendre son âme pour 1,8 million d’euros, lui qui aurait pu gagner des fortunes à vendre son nom et ses compétences dans des régions du monde où ses émoluments auraient de très loin dépassé ceux, confortables, qu’il reçoit à l’UEFA et qu’il aurait pu recevoir à la FIFA. Intuitivement, on se dit donc qu’il n’est pas un homme d’argent.
Cette émotion et cette intuition, je la partage avec beaucoup d’autres. Et je suis de ceux qui se réjouiraient sincèrement de voir Michel Platini revenir à la tête de l’UEFA.
Mais il y a un temps pour tout. Et c’est actuellement celui d’un examen intègre et rigoureux de la situation de la FIFA et en son sein, de celle de Michel Platini. Car l’intégrité ne saurait se satisfaire ni de l’émotion, ni de l’intuition.
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