La question de savoir si le football est une activité criminogène pourrait paraître a priori déplacée pour certains et relever de l’évidence pour d’autres. Or, force est de constater que la question n’est plus incongrue depuis bien longtemps. Le football fait régulièrement l’objet d’actes délictueux et de pratiques des plus douteuses. Le nier serait irresponsable.
Mais inversement, ceux qui pensent que le football est pourri en soi n’ont pas plus raison que ceux qui souhaitent lui faire porter les attributs d’une vertu qu’il n’a plus. Si tant est d’ailleurs qu’il les ait eus un jour.
Albert Camus n’avait pas prévu que le football deviendrait un vrai business
Dans son livre intitulé La Chute, Albert Camus fit dire à l’un de ses personnages: “le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les terrains de football…”. On était alors le 12 mai 1959. A cette époque, quelques joueurs étaient rémunérés par quelques clubs qui avaient le plus grand mal à trouver d’autres revenus que ceux octroyés par leurs présidents-mécènes et par les villes dont ils représentaient les couleurs.
Mais Albert Camus n’avait manifestement pas prévu que le football se développerait en quelques décennies en une activité économique de dimension nationale. En effet, comme aime à le rappeler l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF), le football génère un chiffre d’affaires annuel de plus de 5 milliards d’euros, qui l’amène à verser annuellement des cotisations fiscales et sociales pour plus de 1,3 milliard d’euros. De surcroît, la filière représente directement et indirectement quelques 25.000 emplois en France.
Donc qu’on le veuille ou non, le football est devenu un vrai business. Et avec le business sont apparues, comme dans toutes les autres activités économiques et financières, des pratiques légalement condamnables comme les abus de biens sociaux, la corruption, l’escroquerie et autres fraudes fiscales et sociales. Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive.
Le football, un business trop fortement dépendant des résultats sportifs
Les clubs français sont aujourd’hui, sauf exception, très fortement dépendants des droits versés par les différentes chaînes de TV retransmettant leurs compétitions. En moyenne, ces droits représentent 57% du total des recettes des clubs de Ligue 1 et Ligue 2. C’est en tout cas le discours officiel des autorités du football français.
La réalité est bien différente. Car pour certains clubs, les droits TV peuvent représenter jusqu’à 90% du total de leurs recettes annuelles. Pour ceux-ci, réaliser des performances sportives qui permettent d’encaisser ces droits TV est donc littéralement vital.
Par conséquent, nous pouvons aisément comprendre que quand le club de Nîmes joua en fin de saison 2013/14 son maintien en Ligue 2 contre Caen, il ne joua en réalité pas qu’un simple match de football. Il joua tout bonnement sa survie économique. Car descendre en championnat National (équivalent de la Ligue 3) aurait été synonyme pour lui de perte de la quasi totalité de ses droits TV et donc de faillite.
Or, quelle entreprise autre qu’un club de football pourrait en effet avoir à déposer son bilan du jour au lendemain, suite à la réalisation d’un événement aussi aléatoire que celui du résultat d’un match de football ? Aucune !
Donc si en aucun cas nous ne devrions excuser l’un ou l’autre dirigeant d’avoir truqué un match, il nous est cependant permis de comprendre les extraordinaires contraintes auxquelles ils peuvent parfois être soumis.
Le football génère des flux financiers atypiques entre acteurs économiques
Au-delà de cette dépendance aux résultats sportifs, il est également possible d’observer dans le milieu du football deux facteurs criminogènes aggravant.
Le premier relève de la circulation de flux financiers entre acteurs économiques dont les montants échappent à toute logique économique. Il n’y a en effet aujourd’hui aucune raison rationnelle autre que celles liées à des circonstances de temps et de lieu pour expliquer le montant d’un transfert.
Puisque les sommes payées sont importantes et qu’elles donnent l’impression d’être payées avec déraison, certains acteurs économiques sont tentés d’en détourner partie à leur profit. Car après tout, si les clubs payent des sommes folles à n’importe qui pour n’importe quoi, pourquoi n’en profiteraient-ils pas ?
Et c’est là que le deuxième facteur aggravant concernant le caractère criminogène du football prend toute son importance. Car parmi les acteurs économiques intervenant dans ces flux financiers, se trouvent effectivement des agents ou pseudo-agents de joueurs qui ont, ces dernières années, multiplié les actes délictueux.
Cette profession est pour l’instant encore réglementée par la FIFA. Ne peuvent être agents que ceux qui ont obtenu une licence que la Fédération Française de Football (FFF) ne délivre quant à elle qu’après la réussite d’un examen qu’elle organise chaque année à Paris.
En pratique, nombreux sont les intermédiaires qui n’ont pas la licence d’agent mais qui travaillent comme collaborateurs d’agents qui eux, la détiennent et via lesquels ils se font alors rémunérer. La pratique est bien connue des clubs qui participent dès lors indirectement à des acrobaties juridiques fort périlleuses.
Certains agents sont bien entendu sérieux et professionnels. Malheureusement, ils sont minoritaires. Beaucoup plus nombreux sont ceux qui travaillent peu, mal et qui ont des revenus extrêmement limités. Conscients que leur seul atout est d’avoir des liens privilégiés avec un ou quelques joueurs qui pourront, peut-être, faire l’objet d’un transfert en fin de saison, ils sont prêts à tout pour toucher leurs commissions d’agent (ou de collaborateur d’agent).
L’autogestion du football devrait l’amener à faire son autocritique
Le football français est en autogestion. La FFF et la LFP (Ligue de Football Professionnelle) sont donc bien souvent seules à décider quelles sanctions appliquer à des cas prouvés et documentés d’indélicatesse avec les règlements fédéraux.
Or, un examen approfondi de leurs décisions démontre un incroyable laxisme à sanctionner durement les dirigeants ayant, au bas mot, triché. Il faut en effet la plupart du temps une intervention de l’action publique pour que ces comportements soient réellement sanctionnés, la FFF ou la LFP ne réagissant alors qu’après coup, poussées par les autorités judiciaires et l’opinion publique. Il en fut ainsi avec les affaires ayant frappé ces dernières décennies, Saint-Etienne, Bordeaux et Marseille. Il en est de nouveau de même aujourd’hui avec les enquêtes en cours concernant Caen et Nîmes.
Le football est donc bien criminogène
Les dirigeants des clubs de Nîmes et de Caen sont aujourd’hui présumés innocents. Et il nous faut espérer ardemment que la justice conclura à leur innocence. Pour eux, pour leurs clubs, pour leurs supporters et pour le football français.
Mais nous aurons compris que le football est en tout état de cause, de par sa structure, indubitablement criminogène.
Indépendamment des suites qui seront données à ces affaires, il serait par conséquent grand temps que les autorités du football français sortent du déni dans lequel elles se sont confortablement installées et que lorsque l’occasion leur en ait donnée, elles appliquent leurs propres textes pour sanctionner lourdement ceux qui les violent.
Car il est anormal que beaucoup de ceux qui ont triché ces dernières années soient restés à ce jour impunis.
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