SPORT – La Ligue de Football Professionnel (LFP) a communiqué les sanctions concernant d’une part le club de Nîmes, évoluant en Ligue 2, et d’autre part certains de ses dirigeants. Elles sont lourdes. Rétrogradation de Ligue 2 en championnat National (Ligue 3) pour le club et interdiction de toutes fonctions de dirigeants de football pour toute une série d’anciens et actuels responsables des clubs gardois et bas-normand.
Alors même qu’une instruction pénale est par ailleurs toujours en cours, les sanctions prononcées par la LFP laissent à penser que le football français serait de nouveau frappé par la corruption.
Les faits
Pour mémoire, dans le cadre d’investigations concernant certains anciens dirigeants de Nîmes, une conversation téléphonique entre les présidents caennais (Jean-François Fortin) et nîmois (Jean-Marc Conrad) en préalable à la rencontre entre les deux équipes, avait laissé supposer que le match avait été truqué. Un résultat nul suffisait pour permettre aux Caennais d’accéder à la Ligue 1 alors qu’il suffisait aux Nîmois pour se maintenir en Ligue 2.
Le match se solda sur le score de 1-1 suite à une prestation des deux équipes que l’on qualifiera de peu convaincante. La LFP diligenta une enquête et auditionna 137 personnes dont 41 côté caennais. Elle fit également appel à la société Novalimit en vue d’étudier le comportement des joueurs lors du match en question. Selon les conclusions de cette étude, publiées par le quotidien sportif L’Equipe, “les carences volontaires significatives du niveau du jeu soulignent bien, en première mi-temps, la volonté de laisser l’équipe menée revenir au score puis, en deuxième mi-temps, de préserver le score de parité acquis en première mi-temps.”
En d’autres termes, les écoutes téléphoniques permettaient de supposer que les présidents des clubs caennais et nîmois s’étaient entendus pour que leurs équipes réalisent un match nul (dans tous les sens du terme) et une vidéo démontrait que leurs joueurs auraient suivi leurs instructions à la lettre.
La décision de la LFP
En ne sanctionnant finalement que le seul club gardois et certains de ses anciens et actuels dirigeants (côté caennais, seul le responsable sécurité du club a été suspendu de ses fonctions), la LFP a donc considéré que Nîmes avait bien essayé de truquer certains matches, dont celui contre Caen, sans toutefois y parvenir. L’intention de truquer étant tout aussi punissable que le fait de truquer, la LFP a légitimement considéré qu’il y avait lieu de sévir.
Sa décision est toutefois susceptible d’appel devant la commission d’appel interne de la LFP et pourrait également être portée devant les tribunaux ordinaires si besoin était. Considérant l’impact sportif et financier qu’une telle sanction aurait sur le club nîmois, il y a donc fort à parier que Christian Perdrier, le nouveau président du club, décide d’utiliser toutes les voies de droit pour faire annuler ou pour le moins atténuer les effets de cette sanction.
Le foot français serait-il rattrapé par la corruption ?
Le foot français, probablement comme beaucoup d’autres, a connu et connaîtra encore ses petits arrangements de fin de saison entre amis. Nombreux sont les entraîneurs et dirigeants de clubs amateurs et même professionnels qui se laissent parfois aller à des confessions lors de troisièmes mi-temps arrosées.
Cependant, hormis le fameux Valenciennes-OM du 20 mai 1993, remporté 1-0 par les Marseillais après que certains joueurs valenciennois eurent été corrompus et qui valut entre autres à l’OM d’être rétrogradé de Ligue 1 en Ligue 2 et à son président, Bernard Tapie, d’être condamné en appel à deux ans de prison dont 16 mois avec sursis, 20 000 francs d’amende et trois ans d’inéligibilité, le football français pensait jusqu’ici avoir été épargné par cette gangrène qu’est la corruption.
Mais comment pourrait-il en être ainsi lorsque l’on sait que le 4 février 2013, Europol avait déjà fait savoir qu’il avait détecté, en Europe, 680 matchs truqués entre 2008 et 2011 ? Comment pourrions-nous dormir sur nos deux oreilles lorsqu’on se souvient que le 3 juin 2014, la fédération d’opérateurs de paris en ligne (FEDERBET) et le député européen belge Marc Tarabella, en charge d’une initiative sur la sensibilisation aux paris sportifs et à la corruption dans le sport, avaient dénoncé “de lourds soupçons” de paris truqués sur 350 matches de football européen au cours de la seule saison 2013-2014 tout en estimant par ailleurs que 110 autres avaient, sans l’ombre d’un doute, été l’objet d’actes de corruption ?
Certes, détecter des matches truqués est déjà un progrès en soi.
Certes, la Commission européenne a initié le 18 septembre 2014, dans le cadre de l’article 165 du traité de l’Union européenne, l’adoption d’une Convention sur la manipulation de compétitions sportives, finalement signée dans le cadre du Conseil de l’Europe par la plupart des pays du continent européen.
Certes, les fédérations sportives internationales et nationales sont sensibilisées à la question.
Mais il n’en reste pas moins que la corruption dans le sport ne s’est probablement jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui. Forme de criminalité particulièrement développée en Asie, le truquage des compétitions est en plein développement en Europe sous l’effet de la libéralisation du marché des paris sportifs et de l’utilisation d’internet. Selon un rapport du Centre international pour la sécurité du sport et de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, les organisations criminelles blanchiraient ainsi chaque année quelques 102 milliards d’euros dans les paris sportifs à l’échelle mondiale.
Le football français ne peut donc qu’être menacé par cette vague de fond. Dire le contraire serait irresponsable.
Que faire ?
La corruption dans le football n’est pas un phénomène nouveau. En Angleterre par exemple, les paris existent depuis 1906 et dès 1908 le président de Middlesborough fut obligé de démissionner pour avoir essayé d’arranger un match contre Sunderland.
En France, la Fédération Française de Football (FFF) et la LFP font toutefois à cet égard un très bon travail. Frédéric Thiriez, président de la LFP, évoquait ainsi la question dans Le Monde et suggérait entre autres mesures, celle visant à aider les joueurs à témoigner sans que leurs carrières ne soient brisées. C’est effectivement la clé de la lutte contre la corruption et les matches truqués.
On se souviendra peut-être que Jacques Glassman, le joueur valenciennois qui avait dévoilé en 1993 la tentative de corruption dont furent victimes certains joueurs de son équipe, a dû derrière mettre fin à sa carrière. Il fut certes aidé par l’UNFP (le syndicat français des joueurs professionnels de football). Mais il paya au final très cher son honnêteté.
Le cas de Simone Farina, qui avait dénoncé des matchs truqués en Italie, pourrait être un exemple à suivre. Il a été nommé par la FIFA ambassadeur de “Football for Hope” et fait aujourd’hui partie du centre de formation d’Aston Villa.
Dit autrement, pour éradiquer les matches truqués, il faut absolument protéger les joueurs qui les dénoncent.
Les réponses du Code pénal français à cette menace
En tout état de cause, outre les actions des fédérations et autres instances sportives visant à sanctionner tout acte de corruption et autres matches truqués impliquant clubs, dirigeants et joueurs, celles relevant des autorités judiciaires restent primordiales.
En France, le législateur a mis l’accent sur la pénalisation des comportements tendant à manipuler le résultat des compétitions et le renforcement des incompatibilités entre les acteurs des compétitions et les opérateurs de paris sportifs.
Sur le volet répressif, le législateur a ainsi créé deux délits spécifiques de manipulation des compétitions, l’un pour le corrupteur et l’autre pour le corrompu (art 445-1 et 445-2 du Code pénal). Les peines sont lourdes (5 ans d’emprisonnement et 75.000€ d’amende) et identiques pour les corrupteurs et les corrompus. Est donc aujourd’hui réprimé tout acte ou avantage direct ou indirect offert ou promis à un acteur d’une compétition en vue de voir celui-ci modifier par son comportement le déroulement normal et équitable d’une compétition.
C’est dans ce cadre que certains des anciens et actuels dirigeants du club nîmois pourraient être sanctionnés. C’est également dans ce cadre que, plus généralement, les joueurs et dirigeants de clubs de football français pourraient avoir à répondre de leurs actes s’il advenait qu’ils succombent au chant des sirènes des corrupteurs.
La corruption est un fléau. Dans le sport c’est une ignominie. Il faut la combattre et la sanctionner lourdement. Qu’on se le tienne donc pour dit. A Nîmes comme partout ailleurs en France.
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