FOOTBALL – En voilà un qui nous a bien amusés. Le Fair-Play Financier (FPF) vient d’être enterré avec la fin magistrale du mercato estival. Tous les records de dépenses en matière de transferts de joueurs ont été battus par les Anglais de la ”Premier League”, qui pour cette fois ont également tiré les derniers.
En septembre 2009, le Comité exécutif de l’UEFA avait pourtant approuvé, à l’unanimité, le concept de FPF pour, parait-il, “le bien-être du jeu”. Selon l’UEFA, “ses principaux objectifs sont les suivants: introduire plus de discipline et de rationalité dans les finances des clubs de football ; faire diminuer la pression exercée par les salaires et les transferts, et limiter l’inflation (…)”.
L’UEFA estime en effet que le FPF a pour vocation première de stopper “la tendance inflationniste des dépenses des clubs en ce qui concerne les salaires et les indemnités de transfert”. En stoppant cette inflation, l’UEFA s’attendait à diminuer la dette des clubs de football en Europe et, conséquemment, à assainir l’économie du football.
Il s’agissait à l’époque d’un paralogisme dangereux basé de surcroît sur un raisonnement juridique fallacieux. Comme j’avais déjà eu l’occasion de le développer dans ces colonnes, la question était finalement de savoir combien de temps ce système allait tenir, en droit comme en fait. Depuis le 1er septembre, nous pouvons penser que ce système a vécu.
Certes, l’UEFA pourra toujours dire que le déficit global des clubs est entre temps passé de 1,7 milliard d’euros à 400 millions d’euros en 2014. Mais que cache en réalité ce constat? D’abord que les clubs riches ont continué à s’enrichir et à dépenser sans cesse plus, là où les clubs moins riches ont réduit leurs dépenses qu’ils ne pouvaient plus, FPF oblige, financer par l’endettement. Dit autrement, le déficit global des clubs a bien diminué, mais en creusant encore plus l’écart entre les clubs riches et les autres.
Par ailleurs, les performances sportives sont, comme nous le savons, très fortement liées aux ressources financières. Les économistes Kuper et Szymanski ont effectivement mis en évidence que le budget des clubs est corrélé à 80% avec leur classement sportif. Autrement dit, plus une équipe dépense, plus elle augmente ses chances de réaliser de bonnes performances sportives.
Dès lors, en empêchant un club de s’endetter pour dépenser, l’UEFA l’empêche en réalité de dépenser pour gagner des compétitions. Or, quand on sait que la quasi-totalité des revenus d’un club dépend de ses performances sportives, on comprend que ceux qui ont la faculté de dépenser obtiendront les meilleurs résultats sportifs et, du coup, les plus grosses recettes. Et puisque leurs revenus seront plus substantiels que ceux qui n’ont pas gagné, ils continueront à investir pour asseoir leur domination sportive…et financière ! Et ainsi, le cercle qui se voulait vertueux devient en réalité vicieux.
Kuper et Szymanski n’ont fait que théoriser ce que chacun d’entre nous peut constater dans les stades de football européens ou devant sa télévision. A savoir que, sauf très rares exceptions, les championnats nationaux ne peuvent plus être gagnés que par trois à quatre prétendants par pays. Au niveau européen, la situation n’est guère meilleure puisque l’on retrouve quasi toujours les mêmes dix à douze clubs pouvant prétendre à une victoire en Ligue des Champions. Dont le seul PSG maintenant pour notre championnat de Ligue 1.
Le Fair-Play Financier s’est donc avéré être un véritable catalyseur de la création d’une oligarchie de clubs protégés par des règles qui empêchent la remise en cause de leur mainmise sur les compétitions nationales et européennes.
Sauf que…
Sauf que trop c’est trop. Comme le disait en mai dernier et à juste titre Nasser Al Khelaïfi, le président du club parisien, « Je ne veux pas avoir de problème avec l’UEFA ni faire de scandale, mais c’est impossible de continuer avec le fair-play financier, parce que ce n’est pas juste ».
Le PSG comme d’autres clubs, tels que Manchester City, veulent bien évidemment bousculer l’oligopole existant et l’intégrer. Et ils en ont les moyens financiers. A condition bien sûr qu’ils puissent les utiliser. L’UEFA s’est donc vue contrainte d’assouplir le FPF. D’une part parce que la menace de le voir sanctionner par les tribunaux devient de plus en plus pressante. Et d’autre part parce que les clubs anglais disposent dorénavant d’une manne financière extraordinaire, provenant de droits TV faramineux, qui auraient fini de creuser le gouffre séparant désormais les plus riches de ceux qui le sont moins.
C’est d’ailleurs en grande partie grâce à ces recettes tirées de la vente des droits de retransmission de leur championnat que les clubs anglais ont de nouveau cet été battu tous les records de dépenses en transferts. Ils auront en effet dépensé 1,170 milliard d’euros (là où les clubs de Ligue 1 auront dépensé 307 millions) en proposant de surcroît à leurs joueurs des salaires plus mirobolants les uns que les autres.
Il devient par conséquent intenable pour l’UEFA de continuer à prétendre que le Fair-Play Financier a introduit “plus de discipline et de rationalité dans les finances des clubs de football” et a permis de “diminuer la pression exercée par les salaires et les transferts, et (de) limiter l’inflation”.
Il vaut mieux en réalité considérer avec Arsène Wenger, comme il le déclarait à la presse anglaise le 28 août dernier, que “l’assouplissement du Fair-Play financier l’a tue(r)”.
Partager cette page