Des années après les faits, le transfert de Pierre-Aymeric Aubameyang de l’AS Saint-Etienne (ASSE) au Borussia Dortmund continue à agiter les prétoires. Et il vient de produire une très étonnante jurisprudence. Rappel.
En 2013, l’ASSE donne mandat à un agent de joueurs français, licencié auprès de la Fédération Française de Football (FFF), en vue de négocier le transfert de l’international gabonais Pierre-Aymeric Aubameyang vers le Borussia Dortmund. Le mandat est enregistré par la FFF, conformément aux dispositions du Code du sport. Sa particularité est, cependant, d’être extrêmement court, puisqu’il ne court que sur 2 jours, du 27 juin 2013 au 29 juin 2013.
Les discussions tardant à être finalisées, l’agent demande au club stéphanois, par courrier électronique, une prolongation de son mandat jusqu’au 30 juin. L’ASSE, par l’intermédiaire de son Directeur Général, signifie son accord, toujours par courrier électronique.
Le 30 juin en question, le transfert est bel et bien finalisé, mais en l’absence de l’agent. Ce dernier demande alors le paiement de sa commission, qu’il estime à 777 400 euros. Et que l’ASSE refuse de payer, considérant que le transfert a été réalisé aprèsla fin de la mission de l’agent et donc sans son concours.
Une question d’égalité
Furieux, l’agent assigne le club stéphanois devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne, qui le déboute de sa demande pour non-respect des conditions de forme posées par l’article L.222-17 du Code du sport, selon lequel : « […] le contrat écrit en exécution duquel l’agent sportif exerce l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L. 222-7 précise : 1° Le montant de la rémunération de l’agent sportif, […] Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite ».
Il interjette appel de cette décision devant la Cour d’appel de Lyon, mais cette dernière confirme la décision du Tribunal de commerce, en soulignant quant à elle que l’agent « ne verse pas aux débats un contrat tel qu’imposé par le texte susvisé à peine de nullité, alors que les courriels dont [il] se prévaut n’y satisfont pas, comme ne regroupant pas dans un seul document les mentions obligatoires, un message électronique ne pouvant d’ailleurs par nature pas constituer l’écrit concentrant les engagements respectifs des parties ».
Or, l’article L.222-17 du Code du sport n’exige en rien un support unique pour le contrat d’agent. Et par ailleurs notre Code civil contient depuis 2000 un principe d’égalité de l’écrit électronique avec l’écrit papier.
Sur cette base, l’agent se pourvoit donc en cassation. Et la Cour de cassation accueille favorablement sa demande en considérant « Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L.222-17 du Code du sport n’impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d’un acte écrit unique, la cour d’appel, en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ».
Vers le cryptage obligatoire ?
Elle renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Grenoble, qui a rendu son arrêt le 16 mai dernier (n° 18/04025). Les magistrats grenoblois se devaient de respecter le principe d’égalité des supports écrit et électronique rappelé par la Cour de cassation.
Mais ils font surgir une nouvelle problématique: celle de l’intégrité du support électronique, ou plus exactement de sa signature. Dit plus simplement, ils exigent une signature sécurisée, en s’appuyant sur l’article 1108-1 du Code civil, qui dispose que : « Lorsqu’est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même. »
Cette décision apparaît très contestable, car en l’occurrence, l’article 1316-4 du Code civil, qui porte sur les conditions de preuve des obligations, et en particulier des obligations de paiement, dispose que « Lorsqu’elle est électronique, (la signature) consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »
En d’autres termes, l’article 1316-4 du Code civil n’exclut en rien que puisse être considérés comme une signature, les termes placés à la fin d’un courrier électronique reprenant le nom, le prénom, les fonctions, les qualités, l’entreprise, l’adresse ou le numéro de téléphone de l’expéditeur.
Imposer de manière constante une signature électronique cryptée reviendrait, par exemple, à exiger que la signature manuscrite soit systématiquement apposée en présence d’un officier ministériel. Ce que l’on imagine, à juste titre, très mal.
Un club de football est une entreprise
Par ailleurs, il faut rappeler que, tout au long de cette longue procédure, le club n’a jamais nié être l’auteur du courrier électronique d’acceptation, qui répondait à la proposition de prolongation de l’agent. Les magistrats semblent donc s’être perdus dans les méandres d’un raisonnement purement théorique oubliant les circonstances de l’espèce.
Un club de football est une entreprise et un agent est, au fond, un intermédiaire commercial. Imposer à ces acteurs qu’ils échangent par l’intermédiaire de signatures cryptées se marie mal avec la nécessité de rapidité, d’adaptabilité et de flexibilité que requièrent aujourd’hui un marché des transferts toujours plus agressif, et compétitif.
Si cet arrêt devait faire jurisprudence, ce dont on peut douter, beaucoup d’agents se verraient empêcher d’exercer leurs activités. Ce qui serait dommage. A moins que cela soit, en réalité, l’objectif recherché.
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