Peut-on changer unilatéralement les fonctions d’un salarié ? À partir de quand considère-t-on ce changement de fonctions comme nécessitant son accord préalable? La question est récurrente dans le monde du travail. Elle l’est aussi dans le football professionnel. Et elle concerne, en premier lieu, les coachs, coachs adjoints et autres préparateurs physiques des clubs pros. Quand, faute de résultats, leurs clubs décident de « réaffecter » tout ou partie de leur staff.
Au terme d’une très longue procédure, l’Olympique Lyonnais (OL) vient à nouveau d’alimenter la jurisprudence en la matière. Et au plus haut niveau puisque le litige l’opposant à l’un de ses anciens préparateurs physiques a été porté par deux fois devant la Cour de Cassation, dont la dernière et ultime fois, en date du 5 juillet dernier.
Comment en est-on arrivé là ? Le 1er juillet 2009, l’OL embauche le coach en tant que préparateur physique du groupe professionnel, avec le statut de cadre, selon un contrat de travail à durée déterminée (CDD) de 3 ans, pour une période allant du 1er juillet 2009 au 30 juin 2012.
Tout se déroule bien lors de la saison 2009/10. Mais au début de la saison 2010/11, l’OL informe son salarié, par courrier en date du 7 septembre 2010, qu’il souhaite recruter un nouveau préparateur physique pour l’affecter au groupe professionnel, proposant alors à son prédécesseur de s’occuper du groupe dit « Pro 2 ». En d’autres termes, de la réserve, ou dit encore autrement de l’équipe de CFA (l’actuelle Nationale 2).
Un coach récalcitrant et… déterminé
Le préparateur physique refuse cette proposition par écrit, le 13 septembre 2010. L’OL rejette alors la position de son salarié, estimant que son salaire reste inchangé et qu’il se doit donc d’obtempérer aux ordres de son employeur. Fort de cette conviction, l’OL lui adresse une mise en demeure par lettre recommandée en date du 17 septembre 2010.
Le salarié campe sur ses positions en adressant en retour une lettre à l’OL en date du 21 septembre 2010. Et ne se présente plus sur son lieu de travail. L’OL décide, donc, de rompre son contrat de travail le 7 octobre 2010, pour faute grave, en raison du refus du préparateur physique de rejoindre sa nouvelle affectation malgré la mise en demeure.
Celui-ci finit par saisir le Conseil de Prud’hommes de Lyon pour contester son licenciement. Les juges estiment que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée est imputable à l’employeur et condamne l’OL à payer au salarié la somme de 648 669,17 € à titre de dommages-intérêts, outre les frais de procédure.
Le Conseil de Prud’hommes considère que :
« La nouvelle affectation et le recrutement d’un responsable de la préparation physique du groupe professionnel avait restreint le champ d’activité, ainsi que le niveau de responsabilité et d’autonomie du salarié, tandis que celui-ci n’avait pas été précisément informé de l’incidence de la réorganisation sur le calcul de ses primes, ce qui constituait une modification unilatérale du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser ».
L’OL fait appel de ce jugement. La Cour d’Appel de Lyon lui donne satisfaction dans un arrêt du 6 novembre 2013. Elle considère, en effet, que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée est fondée sur sa seule faute grave.
Le préparateur physique décide de se pourvoir devant la Cour de cassation, qui casse l’arrêt de la Cour d’Appel et renvoie les parties devant elle, composée différemment, pour rejuger cette affaire.
Une modification unilatérale du contrat de travail
La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 3 juin 2016, considère que l’OL :
« ne présentait aucune équipe en ligue 2 professionnelle, ni en championnat national, mais seulement en championnat de France amateur groupe B »
Et qu’il s’ensuit que :
« la nouvelle affectation du salarié, qui consacrait le retrait de ses fonctions de préparateur physique de l’équipe première du club et qui restreignait substantiellement ses attributions et son niveau de responsabilité et d’autonomie, constituait une modification unilatérale de son contrat de travail, et pas seulement de ses conditions de travail, de sorte qu’il était fondé à s’y opposer ».
La bataille n’en est pas pour autant finie, puisque le club et le préparateur physique forment chacun un pourvoi en cassation contre cette décision.
C’est donc, finalement, dans un arrêt rendu le 5 juillet 2017 que la chambre sociale de la Cour de cassation rejette tous les pourvois, rendant du coup la condamnation de l’OL définitive.
Un niveau sportif professionnel
Ce qui retient l’attention dans ce litige, outre la ténacité des parties, c’est tout d’abord le fait qu’un club ne peut pas conserver son coach professionnel, même en lui maintenant son salaire, dès lors qu’il ne lui permet pas de pratiquer son métier à un niveau sportif professionnel.
Donc, garder son coach pour essayer de l’affecter à la Nationale 2 (ex-CFA) n’est pas et ne sera jamais possible. Par contre, un club possédant un groupe pro très étoffé et qui affecte le coach qu’il souhaite écarter, sans changer son salaire, à ceux des pros n’étant pas retenus pour jouer en championnat, pourrait lui permettre de rester dans son droit.
Si l’on résume la vie d’un coach dans un club, on obtient le schéma suivant.
Dans un premier temps, le club engage son coach en lui proposant un salaire et des tâches bien définis. Dans un deuxième temps, s’il veut le remplacer sans pour autant s’en séparer, il doit au minimum lui conserver son salaire initial. Dans un troisième temps, outre lui avoir assuré son même niveau de salaire, le club doit lui permettre d’exercer ses fonctions à un niveau sportif professionnel. A défaut, le quatrième temps doit être joué : le club doit se résoudre à licencier son coach et à l’indemniser en conséquence.
La valse des coachs professionnels est donc bien une valse à quatre temps.
Partager cette page