L’élection présidentielle de 2017 aurait dû être l’occasion d’un large débat sur la politique publique du sport. Elle aurait dû voir s’affronter des projets, des conceptions du sport dans la société, dans l’éducation, des visions de l’avenir de la France sur la scène internationale. Des visions de l’avenir des clubs de football, en particulier, qui constituent un enjeu stratégique majeur pour le sport français.
En lieu et place de ce débat, nous avons assisté à de grandes déclarations d’intention, allant du soutien à “Paris 2024” au renforcement du “sport-santé”, en passant par l’aide au milieu associatif.
Mais au milieu de ces propositions vagues, il s’en trouve une qui détonne par son absence de sérieux. Et c’est celle de Jean-Luc Mélenchon.
Prendre aux pauvres pour donner aux pauvres
Jean-Luc Mélenchon applique son modèle d’une plus juste répartition des richesses à l’ensemble des politiques publiques. Le sport n’échappe pas à cette visée égalitaire. Ajoutons que son idée – centrale – d’une redistribution du sport professionnel vers le sport amateur, n’est pas une mauvaise idée en soi. Le sport français pourrait largement en bénéficier. Encore faudrait-il comprendre de quelle redistribution on parle. Et c’est là que réside le problème.
Car si nous nous concentrons sur le football, que Jean-Luc Mélenchon vise en particulier, il faut d’abord rappeler que le football français est structurellement déficitaire. Qu’il l’est depuis des décennies et qu’il ne survit que grâce à l’apport constant de liquidités par ses actionnaires. Ses recettes proviennent, pour l’essentiel, des droits de retransmission télévisée, des transferts de nos meilleurs espoirs vers l’étranger, du merchandising et de la billetterie.
Il faut aussi rappeler que le football français n’est plus aujourd’hui que le 5ème football européen, derrière ses homologues anglais, espagnol, allemand et italien. La dernière victoire d’un club français dans une compétition européenne remonte à… 1996. C’était le PSG en Coupe des Coupes, il y a donc 21 ans. Et avec la victoire de l’OM en Ligue des Champions en 1993, les clubs français n’ont donc, dans toute leur histoire, que deux trophées européens à mettre à leur actif. Là où les clubs espagnols en ont remporté 41, les clubs anglais et italiens 29 et les clubs allemands 18.
On a du mal à comprendre, dans ces conditions – et dans ce contexte, il faut bien le dire, sinistré – comment Jean-Luc Mélenchon compte s’y prendre pour redistribuer des recettes inexistantes. Tout en privant les clubs d’un certain nombre de leurs revenus. Comme ceux qu’ils tirent du “naming” ou de leur actionnariat.
Cacher ce nom que je ne saurais voir
Première ressource des clubs à être dans le collimateur de Jean-Luc Mélenchon : le “naming”, une pratique qui consiste à donner le nom d’un partenaire commercial à une infrastructure sportive.
Comment justifier, demain, que le Bayern de Munich pourrait jouer dans son stade “Allianz Arena”, alors que l’OGC Nice ne pourrait plus jouer dans son stade “Allianz Riviera”? Pourquoi Allianz, assureur allemand, et donc européen, pourrait-il financer des clubs sportifs en Allemagne, mais pas en France?
Jean-Luc Mélenchon pense peut-être qu’il faut interdire de “naming” les stades financés par des fonds publics, et appartenant dès lors à l'”espace public”. Mais que fera-t-on des stades, nombreux, qui ont été construits grâce à des partenariats public-privé ?
Et priver des clubs de “naming” ne risque-t-il pas de les pousser à construire leurs propres stades, en laissant vacantes des installations publiques qu’il faudra tout de même entretenir, ou reconvertir à grands frais?
Deuxième levier de développement visé par Jean-Luc Mélenchon: la cotation des clubs français en bourse. Comment, là aussi, expliquer que la Juventus de Turin pourrait être cotée, là où son voisin transalpin, l’Olympique Lyonnais, ne le pourrait plus? Comment concourir contre les principaux clubs européens, comment se financer et recruter sur le marché international quand on ne dispose pas des mêmes armes?
1, 2, 3… Zéro Coupe UEFA
Mais Jean-Luc Mélenchon ne s’arrête pas là dans cette politique de “repli” du football français. Il estime, dans un autre point de son programme, qu’un sportif français qui pratiquerait son sport à l’étranger ne pourrait plus être sélectionné en équipe de France. Autrement dit, travailler à l’étranger ferait perdre aux joueurs de football leur qualité de… Français.
Pourquoi les sportifs et uniquement les sportifs? L’Assemblée Nationale et le Sénat ne sont-ils pas constitués, entre autres, de parlementaires vivant à l’étranger ? Pourquoi les footballeurs professionnels subiraient-ils ce qui s’apparente à une discrimination ? Nul ne le sait. Mais les conséquences d’une telle décision, en revanche, sont faciles à mesurer.
A titre d’illustration, 18 des 23 joueurs retenus par Didier Deschamps pour l’Euro 2016 jouaient à l’étranger. Didier Deschamps qui, lorsqu’il souleva la Coupe du Monde en 1998, jouait lui-même à la Juventus de Turin avec un certain Zinedine Zidane…
De plus, une intervention de l’Etat dans les critères de sélection nationale des footballeurs serait considérée comme illégale par la FIFA. Celle-ci, s’appuyant sur l’article 19 de ses statuts, suspendrait donc la Fédération Française de Football pour ingérence politique dans ses affaires. Ce n’est pas une menace en l’air. La FIFA a pris cette décision récemment à l’encontre de l’Indonésie et du Koweït.
Jean-Luc Mélenchon finirait par avoir raison. Il n’y aurait effectivement plus de joueurs jouant à l’étranger en Equipe de France. Mais la contrepartie est qu’il n’y aurait plus d’Equipe de France. Du tout.
C’est sans doute pour éviter de telles dérives que l’interdiction de l’ingérence du politique dans le domaine sportif est inscrite dans la Charte Olympique. Ainsi que dans les statuts de la quasi totalité des fédérations sportives internationales.
“Imprécis” et “dangereux”
Nous devons cette interdiction de l’ingérence du politique dans le sport au Français Pierre de Coubertin qui, en 1909, déclarait que: “Le faisceau, formé par les bonnes volontés de tous les membres d’un groupement autonome de sport, se détend sitôt qu’apparaît la figure géante et imprécise de ce dangereux personnage qu’on nomme l’Etat”.
“Imprécis” est un terme qui convient à la plupart des programmes présentés par les candidats à l’élection présidentielle de 2017, en tous cas pour ce qui relève du sport. “Dangereux” convient plus particulièrement au programme de Jean-Luc Mélenchon.
La France et ses 17 millions de licenciés sportifs jouent, eux aussi, une partie de leur avenir lors de l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai 2017. Ils méritent définitivement mieux que ce qui, pour l’instant et dans le domaine du sport comme dans bien d’autres domaines, ressemble à un match nul.
Partager cette page