C’est une révolution. Et tous ceux qui suivent de près la politique publique du sport l’auront compris. Patrick Kanner et Thierry Braillard, respectivement Ministre et Secrétaire d’Etat aux sports, ont réussi à faire passer en fin de législature une loi qui, sous des aspects techniques, règle des questions cruciales pour le sport français. Des questions qui handicapaient les professionnels, et en particulier les clubs, depuis trop longtemps.
Le 15 février dernier, le Sénat a en effet définitivement adopté, à l’unanimité, la proposition de loi sénatoriale visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel, et à améliorer la compétitivité des clubs.
Les commentateurs n’en ont retenu que l’article 17, qui consacre le “droit à l’image individuel des sportifs”. Et c’est bien dommage. Car la loi ne se limite absolument pas à ça. Et contient des dispositions essentielles pour le développement du sport français. Décryptage.
Quand le sport devient un art
S’il n’est pas tout, le “droit à l’image individuel des sportifs” constitue bel et bien la pierre angulaire de la loi sur l’éthique du sport. De quoi s’agit-il? On cherche à établir une distinction claire entre la participation des sportifs à des compétitions, dans le cadre de leurs contrats de travail, d’une part, et l’exploitation de leur image à travers des activités commerciales, promotionnelles et publicitaires, d’autre part. Le métier, ce n’est pas l’image. Ce ne sont ni les mêmes droits ni les mêmes devoirs qui y sont attachés.
Après bien des débats, il a finalement été décidé de s’inspirer du statut des professionnels du spectacle, et notamment des dispositions de l’article L. 7121-8 du Code du travail, relatif à la rémunération des artistes.
L’objectif est, entre autres, de soustraire partie des revenus des sportifs aux charges sociales, et ainsi d’attirer en France des talents étrangers. On pense, en priorité, à nos clubs de football. Ceux-ci ont du mal à concurrencer leurs homologues anglais et espagnols, qui ont des régimes fiscaux et sociaux plus avantageux. En exemptant de charges sociales une partie du revenu des joueurs, on rend les clubs français plus attractifs.
Cette mesure, qui sera mise en œuvre discipline par discipline, par voie de convention ou d’accord collectif, permettra aussi aux clubs de football de cesser de pratiquer illégalement des retenues sur salaires en cas de comportements inadéquats de la part de leurs joueurs. Ils pourront simplement utiliser leurs redevances sur les droits à l’image pour les sanctionner. Car le comportement d’un joueur peut, et on l’a vu à de nombreuses reprises, nuire à son club et à son image.
La disposition sur le “droit à l’image individuel des sportifs” est donc importante. Mais elle ne vise, en réalité, que les sportifs professionnels. Et, parmi ces derniers, seulement ceux qui sont suffisamment performants et célèbres pour pouvoir vendre leurs droits à l’image individuels. Alors en quoi cette loi a-t-elle un impact sur l’ensemble du sport français?
Moraliser les partis sportifs
Le premier bastion auquel la loi sur l’éthique du sport s’est attaqué est celui du contrôle des paris sportifs. Les articles 7 à 10 de la loi permettent, en effet, à l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) d’établir clairement la liste des compétitions sur lesquelles les paris sont autorisés, au lieu de fixer, comme aujourd’hui, seulement des catégories.
Un nouveau critère, celui des “risques de manipulation”, est introduit en anticipation de l’entrée en vigueur de la convention du Conseil de l’Europe sur les manipulations sportives. L’ARJEL bénéficiera d’un pouvoir de police administrative lui permettant désormais d’interdire tout pari portant sur une compétition dont des indices, graves et concordants, conduisent à penser qu’elle est manipulée.
Enfin, le champ des conflits d’intérêt auxquels les acteurs du sport professionnel sont exposés est élargi et les délits de corruption active et passive relatifs aux paris sportifs sont précisés.
Renforcer les ligues professionnelles
Dans le même esprit, les articles 3 et 5 de la loi permettent aux Ligues professionnelles de pouvoir plus facilement se constituer parties civiles dans le cadre de procédures pénales, y compris lorsqu’il s’agit d’infractions commises lors des compétitions.
Contrôler les agents sportifs
Un nouveau cadre pour l’intervention des agents sportifs de l’UE, lorsque celle-ci est exceptionnelle et ne donne pas lieu à l’exercice d’une activité directe de leur part sur le territoire national, a par ailleurs été créé par les articles 11 à 13 de la loi. Ce cadre réglementaire les autorise, dans la limite d’une seule convention par saison sportive, à passer une convention de présentation avec un agent sportif licencié.
Leur activité sera soumise à l’examen des directions nationales de contrôle de gestion (DNCG) qui veilleront, entre autres, à ce que toute personne reconnue coupable de fraude fiscale aux termes de l’article 1741 du Code général des impôts, soit dorénavant exclue de la profession.
Sécuriser les clubs professionnels
L’article 14 de la loi sur l’éthique du sport donne, quant à lui, aux sociétés sportives un droit d’usage du “numéro d’affiliation” de l’association qui porte le club. Ce numéro est obtenu par l’association auprès de sa fédération, au moment de son affiliation. Il lui permet notamment, ainsi qu’à ses licenciés, de participer aux compétitions et aux activités organisées par cette fédération.
Auparavant, les clubs professionnels se retrouvaient souvent dans une situation délicate, dans laquelle sa partie associative – amateure, par définition – détenait le numéro d’affiliation et pouvait faire pression sur la partie professionnelle du club – la société commerciale – en mettant les investisseurs et autres détenteurs de capital dans une situation de dépendance et d’incertitude. Cette situation ubuesque ne sera, heureusement, plus possible.
Un nouveau régime des arbitres professionnels
L’article 19 donne, ensuite, la possibilité aux fédérations de salarier leurs arbitres sous la forme de contrat à durée déterminée (CDD) spécifique aux sportifs et aux entraîneurs professionnels récemment introduits dans le Code du sport par la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015. Une avancée non négligeable pour les sports professionnels.
Une loi bienvenue
Enfin, les éducateurs sportifs seront plus sévèrement contrôlés et la liste des incompatibilités élargie (articles 4 et 23). La lutte contre la fraude technologique sera renforcée (articles 6 et 9), tout comme celle contre le piratage des diffusions sportives audiovisuelles (article 24).
La promotion du sport féminin sera accrue (articles 21 et 22), et celle du sport de haut niveau à l’étranger sera promue au rang de priorité (articles 26 et 27).
Et dernière disposition d’importance: l’article 18 permettra aux collectivités territoriales de garantir les emprunts contractés par les associations et sociétés sportives “en vue de l’acquisition, la réalisation ou la rénovation d’équipements sportifs”.
Alors, certes, la loi sur l’éthique du sport n’est pas parfaite. Mais quelle loi peut prétendre l’être? Certes, elle n’est pas complète non plus. Mais pouvait-elle vraiment l’être ? Cela ne l’empêche pas, à son niveau et à sa manière, d’accomplir une petite révolution.
Aux fédérations et autres ligues professionnelles de s’en emparer.
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