Le dernier rapport de la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG) de la Fédération française de football (FFF) concernant la saison 2012/13 vient de sortir.
Comme le note Frédéric Thiriez, Président de la Ligue de football professionnel (LFP), “au 30 juin 2013, pour la quatrième année consécutive, le résultat net cumulé des 40 clubs de Ligue 1 et Ligue 2 présente un déficit s’élevant, cette fois, à 39 millions d’euros”. Plus que le résultat net, c’est le fait que le football français s’installe durablement dans une spirale négative qu’il convient de relever.
Les deux paradigmes divergents du football français
Le football français semble en effet ne pas pouvoir concilier deux paradigmes manifestement divergents: le premier est porté par la FFF via la DNCG, et consiste à dire que le football ne serait sain que si les clubs s’assuraient de leur viabilité économique. En d’autres termes, la DNCG viserait d’une part à ce que les dirigeants de clubs ne se lancent pas dans des dépenses déraisonnées mettant leurs clubs en péril et, d’autre part et ce faisant, que les clubs ainsi économiquement en danger ne fassent pas faillite en cours de saison en dénaturant le championnat duquel ils disparaîtraient comme cela fut le cas lors de la saison 2010/11 avec le club de Gueugnon et le championnat national (équivalent de la Ligue 3).
Par conséquent, là où une société commerciale traditionnelle pourrait par exemple librement s’endetter pour investir ou générer stratégiquement une perte comptable pour des raisons fiscales, un club de football professionnel ne le peut que dans des proportions extrêmement réduites et en tout état de cause qu’avec le consentement de la DNCG.
Bien que les clubs professionnels soient de nos jours tous abrités par des sociétés commerciales, obéissant dès lors aux règles du droit des sociétés et du droit commercial traditionnel, leurs dirigeants sont en réalité contraints par les règles de la FFF à une gestion encadrée de leurs clubs.
Alors comment expliquer que le football français réalise quand même des pertes financières substantielles?
L’équation est simple et c’est là que le deuxième paradigme entre en jeu: pour gagner plus d’argent, un club professionnel doit gagner plus de matches. C’est-à-dire être mieux classé en championnat, faire de bons parcours en coupe (coupe de France et coupe de la Ligue), si possible se qualifier pour une coupe d’Europe et s’il joue l’une d’entre elles (la Ligue des champions ou ladite ”Europa League”), aller le plus loin possible dans la compétition. Or, il n’y a pas de miracle et le rapport de la DNCG le confirme: pour gagner plus de matches et être donc sportivement plus performant, il faut en règle générale avoir les meilleurs joueurs. Et pour avoir les meilleurs joueurs il faut dépenser plus en masse salariale que ses concurrents.
D’où le dilemme car il faut dépenser tout en respectant les règles de la DNCG, mais dépenser tout de même pour être sportivement – et du coup financièrement – performant.
Des chiffres alarmants
Le déficit cumulé des 40 clubs de Ligues 1 et 2 s’établit à 39 millions d’euros à la fin de la saison 2012/13. Certains pourront dire qu’il était de 65 millions à la fin de la saison 2010/11 et de 108 millions en 2011/12, de telle sorte que la situation bien que mauvaise, aurait tendance à s’améliorer.
Mais tel n’est malheureusement pas le cas pour différentes raisons. Premièrement, parce que le déficit serait bien plus important si chaque saison, les actionnaires n’abandonnaient pas les apports en compte courant au sein de leurs clubs. Un apport en compte courant est une avance consentie par un actionnaire au cours de la vie de la société. Son montant est supposé être remboursé dès lors que la situation financière de la société le permet ou alternativement, devenir du capital social.
Toutefois, pour ne pas alourdir l’endettement de leurs clubs et pour satisfaire aux dogmes de la DNCG, les actionnaires des clubs doivent souvent purement et simplement abandonner les sommes ainsi injectées, ce qui mathématiquement réduit le déficit des clubs français. Dit autrement, sans le soutien de leurs actionnaires, de nombreux clubs, notamment de Ligue 2, seraient dans une situation dramatique.
Deuxièmement, parce que de nombreux clubs ne comptabilisent pas certains passifs latents. Ces choix comptables peuvent parfois se justifier mais ils donnent en tout état de cause une image artificiellement flatteuse de l’endettement de certains clubs.
Troisièmement, parce que, au-delà des chiffres globaux, il est également important de noter que 8 clubs sur 20 de Ligue 1 et 13 clubs sur 20 de Ligue 2, soit 21 clubs sur 40 des Ligues 1 et 2, étaient en perte au 30 juin 2013. De surcroît, sur les 19 clubs restant, beaucoup terminent autour de l’équilibre. Dit autrement, ils ne gagnent pas d’argent.
Quatrièmement, le trou entre certains clubs de Ligue 1 d’une part et le trou entre la Ligue 1 et la Ligue 2 d’autre part, ne cessent de croître, mettant dès lors en péril l’intérêt à moyen terme de certaines compétitions nationales. A titre d’exemple, la DNCG relève que les produits (hors transferts) se sont élevés à 1297 millions d’euros en Ligue 1, en progression de 14% alors qu’ils ne se sont élevés qu’à 204 millions en Ligue 2, en recul de 5%.
De même la DNCG observe que Paris, Lyon et Marseille représentaient à eux 3, 47% des produits d’exploitation (hors transferts) et 46% des charges d’exploitation de la Ligue 1. Elle écrit d’ailleurs à ce propos que “l’écart avec les autres clubs est de plus en plus important”.
La signification sportive de ces chiffres une fois ramenés à l’échelle des clubs
Ce que tout un chacun peut aisément constater devant son petit écran est également relevé par la DNCG à savoir qu’il y a effectivement une forte corrélation entre la performance sportive et le montant du budget des clubs. Ainsi, en 2012/13, les clubs ayant les trois plus gros budgets du championnat de Ligue 1 se sont retrouvés aux trois premières places du classement (dans l’ordre, Paris, Marseille et Lyon) alors que deux des trois clubs relégués en Ligue 2 avaient un des trois plus petits budgets de Ligue 1 (Brest et Troyes).
En Ligue 2, la situation fut identique puisque les trois clubs ayant accédé à la Ligue 1 étaient parmi ceux ayant les plus gros budgets du championnat (dans l’ordre du classement, Monaco, Guingamp et Nantes) alors que ceux ayant été rétrogradés en championnat national étaient parmi les plus petits budgets de la Ligue 2 (Le Mans, Sedan et Ajaccio).
Plus ennuyeux, la situation financière des clubs français et la corrélation qu’elle peut avoir sur leurs performances sportives vaut bien entendu également à l’échelle européenne. La dernière fois qu’un club français a ainsi pu participer à une demi-finale d’une coupe européenne remonte à la saison 2009/10 avec Lyon. Le PSG devrait pouvoir remédier à la situation sous peu mais malgré les moyens financiers dégagés depuis trois ans par le club parisien, il n’a pour l’instant pas pu faire mieux que d’atteindre les quarts de finale de la fameuse Ligue des champions en 2013 et 2014.
Changer les règles pour mieux changer la gouvernance
Le système mis en place en France pour encadrer la bonne gestion des clubs de football se voulait vertueux. Mais il ne fonctionne pas. La situation financière des clubs se dégrade, l’écart entre les championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 se creuse et au sein même de la Ligue 1, un fossé sépare désormais les équipes du haut de celles du bas de tableau.
Aucune remise en cause du système ne semble se dessiner comme s’il n’y avait pas d’autre alternative à celle mise en place en France. Comme si finalement l’Angleterre et sa Premier league n’étaient pas de l’autre côté de la Manche ou comme si l’Allemagne et sa Bundesliga ne se situaient pas outre-Rhin.
Pour couronner le tout, non seulement la FFF impose des règles à ses clubs qui les pénalisent (entre autres sur la scène européenne) mais, de surcroît, le gouvernement les met dans une situation juridique telle qu’ils ne sont plus en mesure de lutter contre leurs homologues des autres pays.
Jean-Pierre Louvel, actuel Président du club du Havre et de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) écrit ainsi en introduction du dernier rapport de la DNCG: “A cette aune, en tant que président de l’UCPF, je me dois d’interpeller les pouvoirs publics qui ne prennent pas en compte la compétitivité de nos clubs, devenus à de rares exceptions les petits Poucet du football européen. Leur responsabilité est grande face à un secteur d’activité globalement déficitaire, en perte de compétitivité internationale et dont l’équilibre général ne tient que grâce au soutien constant des actionnaires des clubs”.
Il a presque tout dit. Il ne reste plus, aussi, aux dirigeants du football français, qu’à revoir l’organisation du football professionnel dans notre pays pour faciliter sa bonne gouvernance.
Partager cette page