Cet été, plusieurs clubs de football de haut niveau auront de nouveau déposé le bilan, mettant plusieurs dizaines de salariés, joueurs, entraîneurs et personnels administratifs, au chômage.
Certains appréhenderont la problématique avec l’émotion de supporters voyant leurs clubs être relégués administrativement par la Fédération Française de Football (FFF) et crieront à l’infamie et à l’injustice. D’autres, qui se gargarisent de vérités toutes faites mais non vérifiées sur l’économie du football, estimeront qu’il doit en être ainsi car il en irait au final de la bonne santé du football français.
Aucun de ceux-ci n’auront raison. Et certainement pas ceux qui soutiennent sans faille et sans vision aucune l’action actuelle de la Direction Nationale de Contrôle et de Gestion (DNCG) de la FFF. Car si besoin en était, les extravagantes décisions qu’elle a prises durant la trêve estivale concernant Lens et Luzenac, devraient suffire à leur faire comprendre que le système ne fonctionne plus. Si tant est qu’il ait fonctionné un jour.
En tout état de cause, coincé entre le supporter et le contrôleur de gestion, tout à chacun pourrait être en droit de se poser quelques questions très simples. Comment, par exemple, est-il possible que la France détienne le record absolu de faillites de clubs de football alors même qu’elle est simultanément le pays supposé contrôler le plus strictement leurs comptes? Comment par ailleurs peut-il être possible que les faillites de clubs soient quasi inexistantes dans les autres grands championnats européens, qui n’ont pas de système de contrôle aussi poussé que la FFF avec sa DNCG?
La DNCG est supposée s’assurer de la pérennité et de l’équité des compétitions
Pour bien appréhender ce dont nous parlons, il faut d’abord comprendre ce qu’est supposée être le rôle de la DNCG. Celle-ci a été créée en 1984 à l’époque du scandale de la caisse noire de l’AS Saint-Etienne qui avait servie notamment à payer des joueurs.
Elle fut donc mise en place dans la foulée de la loi modifiée du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives qui prévoit entre autres que “chaque fédération disposant d’une ligue professionnelle crée un organisme assurant le contrôle juridique et financier des associations et sociétés” en vue de s’assurer que ces dernières “répondent aux conditions fixées pour prendre part aux compétitions que [la fédération] organise”.
Concrètement et en conformité avec l’actuel article 132-2 du Code du Sport, la DNCG contrôle les comptes des clubs plusieurs fois par saison “en vérifiant notamment que les investissements sportifs n’excèdent pas [ses] capacités financières”.
En d’autres termes, la DNCG s’assure que les clubs engagés en championnat ne commencent pas la compétition avec des recettes (ou apports en comptes courants de leurs actionnaires) qui ne leur permettraient pas de faire face à leurs dépenses.
L’objectif affiché est d’éviter les déconvenues telles que celles du championnat National de la saison 2010/11, lors de laquelle Gueugnon dut déposer le bilan en plein milieu de la compétition sans pouvoir la terminer. Le championnat fut alors vicié puisque le règlement prévoyait que chaque résultat obtenu par Gueugnon avant son retrait de la compétition devait être conservé alors que tout match à venir, ne pouvant donc pas être joué, devait être donné gagnant 3-0 à son adversaire.
Il est par conséquent légitime pour le législateur et surtout pour la fédération délégataire du pouvoir d’organiser le football en France, c’est à dire la FFF, de se préoccuper de “la pérennité et de l’équité” des championnats concernés.
Mais ce faisant, comment peut-on dès lors expliquer que des clubs qui ne peuvent s’engager en championnat qu’avec des budgets équilibrés, puissent pour autant faire faillite?
Un nombre de faillites de clubs sans équivalent en Europe
Si nous ne devions viser que les clubs ayant un jour évolué au niveau professionnel et ayant fait faillite depuis l’instauration de la DNCG, nous pourrions citer, de manière non exhaustive, Ales, Angoulême, Annecy, Besançon, Bourges, Cannes, Grenoble, Gueugnon, Le Mans, Limoges, Mulhouse, Orléans, Reims, Rouen, Sedan, Strasbourg, Thonon, Toulon, Tours, Valence, Valenciennes et Vannes.
Les budgets de ces clubs avaient pourtant été visés par la DNCG qui leur avait demandé d’équilibrer entrées et sorties financières.
Tous, à l’exception de Gueugnon, auront donc terminé les championnats dans lesquels ils avaient été autorisés à s’engager. Tous, à l’exception de Gueugnon, auront aussi été amenés à déposer le bilan à l’intersaison, suite à des décisions de la DNCG.
Ces faillites s’expliquent de deux manières différentes : la première est simple et bien connue de la DNCG. Un club construit un budget dans lequel les dépenses sont supérieures aux recettes. Pour l’équilibrer et obtenir le satisfecit de la DNCG, ses actionnaires s’engagent donc à combler la différence par des apports personnels en comptes courants qu’au final ils abandonneront pour transférer définitivement la propriété des sommes ainsi avancées à leurs clubs. Lorsque les actionnaires n’ont plus les moyens de ces apports personnels, ils laissent des clubs fortement endettés qui ne survivent pas toujours à une telle situation.
La deuxième explication est plus ténue et tient à ce qui constitue le deuxième rôle que la FFF et la DNCG se sont attribués plus qu’il ne leur a été délégué.
La DNCG vise aussi à imposer un modèle économique aux clubs français
Dans son dernier rapport, la DNCG écrivait ainsi qu’ “elle considère que tout projet doit avoir pour objectif de trouver, à maturité, ses propres équilibres en toute autonomie. Dans l’intervalle, il est demandé que les pertes de démarrage encourues dans le cadre du projet soient couvertes par les actionnaires. La commission prend les mesures appropriées, en fonction du contexte financier et de la situation des clubs, pour obtenir d’eux l’assurance du financement et de l’équilibre de leurs comptes (…)”.
Donc, en d’autres termes, la DNCG s’attend à bien plus que d’avoir l’assurance qu’un club puisse faire face à ses dépenses durant le championnat auquel elle l’autoriserait à s’engager. Elle veut aussi qu’il produise des comptes équilibrés.
Or, là où n’importe quelle entreprise commerciale pourrait générer un résultat comptable négatif, un club de football-entreprise commerciale ne le peut pas.
Plus grave, là où un club de football, en tant qu’entreprise, aurait tout à fait les moyens économiques et financiers de perdurer, il peut être sanctionné par la DNCG et poussé à la faillite parce qu’à l’instant T du contrôle de ses comptes, son résultat comptable ne serait pas équilibré.
Lisez bien : le club n’est pas en cessation de paiement, il a la capacité en trésorerie d’assurer sa survie et de s’engager en championnat en faisant face à ses dépenses sans prendre par conséquent le risque d’affecter la compétition à laquelle il participerait. Et pourtant, il peut être relégué administrativement et par conséquent poussé à la faillite.
Il est très peu probable que le législateur français ait prévu de déléguer à la FFF et à sa DNCG la capacité, même indirecte, de liquider juridiquement et financièrement les sociétés abritant des clubs de football. C’est pourtant ce qui se passe chaque été.
De telle sorte qu’à chaque période estivale, les pages économiques de nos quotidiens nous amènent à lire que notre Ministre de l’économie se désole des courbes sans cesse ascendantes des défaillances d’entreprises d’une part et d’augmentation du nombre de chômeurs d’autre part, alors que les pages sports nous permettent de prendre connaissance des faillites et autres relégations administratives de tel ou tel club. Le lien entre les pages économiques et les pages sports, est qu’une faillite d’un club provoque également de la perte d’emplois.
Lorsqu’une faillite est inévitable, il faut se faire une raison. Lorsqu’elle n’avait aucune raison économique d’être mais qu’elle est provoquée par une décision de la DNCG, alors il y a un dogmatisme dangereux sur lequel il convient de se pencher sérieusement.
Une comparaison douloureuse avec nos voisins européens
Ceci est d’autant plus vrai que les footballs allemand, anglais, espagnol et italien n’ont quasiment pas connu de faillites. Beaucoup furent les clubs – y compris dans le championnat anglais qui est économiquement le plus puissant d’Europe – à avoir été en difficulté financière. Mais très peu auront déposé le bilan.
Certains sont fortement endettés. Mais est-ce un problème ? Selon l’UEFA et son Fair-Play Financier cela n’en est clairement pas un car seul compte l’équilibre des recettes et des dépenses au moment de l’engagement dans les compétitions européennes.
L’économie du football français serait-elle du coup en meilleure santé que celle de ses voisins ? Non plus. En introduction du dernier rapport de la DNCG, Frédéric Thiriez, le Président de la Ligue de Football Professionnelle (LFP) écrivait ainsi que “au 30 juin 2013, pour la quatrième année consécutive, le résultat net cumulé des 40 clubs de Ligue 1 et Ligue 2 présente un déficit s’élevant, cette fois, à 39 millions d’euros”.
Jean-Pierre Louvel, Président de l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) écrivait quant à lui en introduction de ce même rapport que « à cette aune, en tant que président de l’UCPF, je me dois d’interpeller les Pouvoirs Publics qui ne prennent pas en compte la compétitivité́ de nos clubs, devenus à de rares exceptions les petits-poucets du football européen. Leur responsabilité́ est grande face à un secteur d’activité́ globalement déficitaire, en perte de compétitivité́ internationale et dont l’équilibre général ne tient que grâce au soutien constant des actionnaires des clubs ».
Le classement UEFA des clubs ne comporte quant à lui plus aucun club français dans son top 10. Le PSG est 13ème, Lyon 20ème et Marseille 28ème.
Par conséquent, non seulement les instances du football français font face à un taux de faillite de leurs clubs incomparablement plus élevé que celui de leurs grands voisins européens, mais de surcroît, elles échouent à développer l’économie de ceux qui perdurent. Aujourd’hui, sans Paris et Monaco d’une part, dont le développement ne doit rien à la FFF et à la DNCG et sans Lille et Lyon d’autre part, qui sont les seuls clubs a porter fébrilement de véritables projets entrepreneuriaux, le football français serait définitivement peu reluisant.
Et le football dans tout ça ?
Si, pour en revenir aux supporters, ceux-ci sont de plus en plus nombreux à s’émouvoir de la situation, c’est que les règlements de la FFF amènent cette dernière à régulièrement s’écarter du football en tant qu’activité sportive.
Ou, plus exactement et pour dire le moins, elle s’en écarte et y revient au gré des circonstances et des intérêts en jeu.
Ainsi et à titre d’exemples, à l’issue de la saison 2011/12 de Ligue 2, Le Mans se maintenait lors de la dernière journée aux dépens de Metz, 18ème qui était donc relégué en championnat national. Or, Le Mans, surendetté, était finalement rétrogradé par la DNCG et Metz se voyait donc administrativement maintenu en Ligue 2.
Après quelques péripéties dont nul ne doutait à l’époque qu’elles avaient pour but de sauver Le Mans et son stade, M. Le Graët, président de la FFF, expliquait alors aux journalistes qui lui demandaient des explications sur ce scenario quelque peu rocambolesque, que “le sportif doit toujours primer sur l’administratif” et que Le Mans s’étant maintenu sportivement, il devait donc pouvoir garder sa place en Ligue 2.
Nombreux furent d’ailleurs ceux, à l’exception probable des Messins, qui se félicitèrent de cette prise de position. Car effectivement, sauf pour Le Mans à ne pas avoir la capacité financière de s’aligner en championnat de Ligue 2 pour la saison qui suivait (2012/13), il était normal qu’un club qui avait gagné son maintien sur le terrain puisse en bénéficier.
Or, lors de la saison 2012/13, Rouen évoluant alors en championnat National, accéda sportivement à la Ligue 2 mais ne pu y jouer du fait d’une pénalité administrative de 3 points liée à la présentation de comptes incomplets lors de la saison 2011/12 par l’ancienne gouvernance du club. D’un coup, le sportif ne prévalait plus sur l’administratif ou dit autrement, ce qui valait pour Le Mans ne valait plus pour Rouen.
De même et peut-être encore plus clairement cet été, Lens qui avait gagné son droit de jouer en Ligue 1 se le vit refuser à deux reprises par la DNCG avant que cette dernière ne soit contredite par le Comité National Olympique et Sportif (CNOSF). L’administratif l’emporta encore sur le sportif avant que le CNOSF fasse finalement entendre raison à la FFF.
Luzenac avait quant à lui gagné son droit d’accéder à la Ligue 2 avant de se le voir refuser par la DNCG et le CNOSF, pour finalement se le faire confirmer par le Tribunal administratif de Toulouse.
Il en ressortit conséquemment que la FFF, débordée de tous côtés, ne savait pas à quelques jours du début du championnat de Ligue 2, qui allait pouvoir y évoluer et dû finalement se contraindre à organiser un championnat à 21 clubs.
Châteauroux qui avait en effet sportivement été relégué au terme de la saison 2013/14, a finalement été administrativement maintenu en Ligue 2 dans l’attente d’une décision sur le cas de Luzenac.
En d’autres termes et au-delà des considérations financières qui sous-tendent les décisions de la FFF et de sa DNCG, les supporters et amateurs de football ressentent bien que le système est défaillant. La FFF prend des décisions que les clubs, leurs dirigeants et leurs joueurs contestent.
Ces décisions sont contestées mais elles sont également contestables puisque nombreux sont les cas dans lesquels la FFF et ses instances sont au final déjugées.
Il est donc grand temps d’admettre que le football souffre des règles qu’il a lui-même établies. Car que la DNCG vérifie les budgets des clubs s’engageant en championnat pour s’assurer de leur sérieux et du coup de la continuité et de l’équité d’une compétition, est une chose.
Mais que la DNCG puisse vouloir, au-delà de sa mission première, imposer un modèle économique aux clubs de football français en est une autre. De surcroît lorsque l’imposer abouti à des aberrations économiques telles que l’obligation d’un équilibre des comptes au terme de chaque saison, la quasi interdiction de la dette, la faillite forcée de certains clubs économiquement viables et autres décisions hautement critiquables dans le contexte économique et social qui est celui de la France aujourd’hui.
Entre temps et en tout état de cause, l’économie du football français n’en sort pas renforcée. Bien au contraire.
Quand, de plus, cela aboutit à des contre-sens sportifs puisque ceux qui doivent monter ne peuvent pas monter, ceux qui doivent descendre ne descendent plus, dans des championnats à 18, 19, 20 ou 21 selon les saisons, les intérêts en jeu et les décisions des différents organes juridictionnels concernés, alors le football français fini par marquer un but contre son propre camp.
Et au coup de sifflet final, il perd à plates coutures contre les championnats des autres grands pays européens.
Partager cette page