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Sports et business

Le Fair-play financier et le droit: il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre

21 mai 2014

C’était un secret de polichinelle tant les experts gravitant autour de l’UEFA avaient savamment orchestré les fuites concernant les sanctions qui allaient frapper principalement le PSG et Manchester City.

Mais ces sanctions étaient en réalité connues depuis bien longtemps. Il était en fait possible d’en déterminer les contours dès l’adoption même des règles du Fair-play financier (FPF) tellement il était évident que la manière dont elles avaient été rédigées visaient explicitement l’arrivée dans le football européen d’investisseurs hors normes tels que ceux du Qatar au PSG et ceux d’Abu Dhabi à Manchester City.

Peu ont jusqu’ici appréhendé le FPF sous ses différents angles juridiques. Or, en l’occurrence c’est essentiel pour comprendre en quoi d’une part il défie l’entendement des juristes et pour deviner, d’autre part, les prochains coups sur l’échiquier que devront nécessairement jouer les instances du football européen et les différents clubs sanctionnés aujourd’hui ou qui pourraient l’être demain.

Les principaux concepts du droit s’appliquant au Fair-play financier

Il ne s’agit pas ici de développer une véritable argumentation juridique, dont nul doute qu’elle sera de toute manière rapidement déployée devant les juridictions compétentes. Il s’agit plus simplement d’essayer d’exposer aussi brièvement et aussi clairement que possible les principales règles que le FPF est supposé respecter.

N’en déplaise à certains, le sport est un secteur économique comme les autres

Au niveau européen, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a dès 1974 estimé dans son arrêt Walrave et Koch que la législation européenne ne s’appliquait pas aux règles “intéressant uniquement le sport”, mais qu’elles ne concernaient que les activités économiques visées par le Traité de l’Union européenne. Bien que cet arrêt ait concerné le cyclisme, nous pourrions dire pour illustrer le point de vue de la CJUE et pour en revenir au football que le droit européen ne s’intéressera pas aux règles de l’UEFA si cette dernière devait décider d’introduire une réforme des règles du hors-jeu mais qu’il s’y intéressera dès lors que l’UEFA édictera des règles relatives au football en tant qu’activité économique.

Le monde sportif et plus particulièrement le monde du football ont bien essayé pendant des décennies de faire prévaloir une certaine spécificité du secteur du sport par rapport à d’autres secteurs économiques mais leurs voix n’ont, à juste titre, pas été entendues par le juge européen.

Dès lors, le sport est en tant qu’activité économique soumis au droit européen

Pour avoir ainsi ignoré pendant des années que les footballeurs professionnels étaient des travailleurs comme les autres au regard des règles européennes et qu’ils devaient donc pouvoir circuler librement au sein de l’Union européenne, les autorités du football européen ont été condamnées dans le cadre de l’affaire Bosman (joueur professionnel de football) en 1995 puis l’Olympique Lyonnais et les autorités françaises le furent dans le cadre de l’affaire Olivier Bernard en 2010 pour ce qui relève des joueurs en cours de formation.

Nous avions à l’époque, en tant qu’avocats chargés d’assister la Commission européenne ou de défendre ces joueurs, vivement alerté les autorités du football tant européenne que française quant au caractère juridiquement intenable de leurs positions au regard du droit en vigueur. Mais rien n’y fit.

Par ailleurs, le Livre Blanc sur le sport de la Commission européenne de 2007 et le Traité de Lisbonne de la même année (et plus particulièrement son nouvel article 149 CE sur le sport) n’ont en rien changé la donne à cet égard. Le droit européen a primauté sur tous les droits nationaux, y compris les Constitutions des Etats membres. Il a donc bien entendu primauté sur la “lex sportiva” et sur toutes autres règles édictées par les autorités du football, qu’elles soient nationales ou européennes.

Cela peut sembler être une évidence aujourd’hui. Mais cela l’était tout autant au début des années 1990 lors de l’affaire Bosman et dès 2005 avec l’affaire Olivier Bernard. Cela n’a pas pour autant empêché les autorités du football de se faire condamner à deux reprises devant la CJUE.

Le droit européen consacre la liberté d’entreprendre

Le droit européen s’articule de surcroît autour de grands principes que l’on retrouve dans les Traités européens et dans certains autres actes juridiques de la plus grande importance.

L’un d’entre eux devrait retenir toute l’attention de ceux qui se penchent sur la légitimité du FPF: celui consacrant la liberté d’entreprendre. Ce principe se retrouve indirectement repris via le droit de propriété dans l’article 1 du protocole 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (notons qu’il se retrouve directement consacré en France par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) et dans l’article 16 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En bref, celui qui entreprend doit pouvoir le faire librement. Libre à lui donc d’investir dans sa société comme bon lui semble. Rien n’empêche aujourd’hui par exemple un entrepreneur dans des secteurs tels que l’énergie, les transports, la santé, etc… d’investir lourdement dans son entreprise dans l’attente d’un retour sur investissement ultérieur. Voir un investisseur se donner les moyens de sa réussite est même souvent gage d’un projet sérieux et durable.

Le Traité de l’Union européenne veille à la bonne application de ce principe et selon une jurisprudence bien établie et développée pour ce qui relève de la France par le Conseil constitutionnel, il ne peut être porté atteinte à ce sacro-saint principe juridique, qui est aussi l’un des principaux fondements du libéralisme économique, “qu’à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi”.

Cette liberté d’entreprendre est fortement dépendante du contexte concurrentiel dans lequel elle s’exerce

Toutefois, pour que cette liberté d’entreprendre puisse produire ses effets, elle doit pouvoir s’exercer dans un contexte concurrentiel sain et respectueux des intérêts de chacun, en ce compris des consommateurs.

C’est la raison pour laquelle le Traité UE contient entre autres deux articles incontournables en la matière, à savoir les articles 81 et 82 UE qui ont donné lieu à une jurisprudence extrêmement volumineuse de la CJUE.

En simple, et pour nous concentrer sur le seul article 81, il faut retenir que l’article 81.1 condamne “tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, (…) qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du Marché commun, et notamment ceux qui consistent à (…) limiter ou contrôler (…) les investissements”.

Certains accords de ce type peuvent cependant être admis (article 81.3 UE) s’ils “contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs (…)”.

Or, en l’occurrence le FPF est un accord qui, au regard de l’article 81.1 UE, limite indéniablement la possibilité des dirigeants du PSG, en tant qu’entrepreneurs, d’investir dans leur entreprise. La question est donc celle de savoir si l’UEFA peut écarter le principe général du droit qu’est la liberté d’entreprendre, pilier de notre économie de marché, pour imposer son propre modèle économique et si elle peut, pour ce faire, déroger également aux règles du droit européen et notamment à celles relatives à la liberté de circulation des capitaux et à l’interdiction des accords et autres ententes.

Le FPF est donc au final supposé imposer un nouveau modèle économique s’appuyant sur un corpus legis manifestement illégal

L’objectif recherché par l’UEFA semble être en effet celui consistant à éviter un endettement sans cesse plus grand des clubs européens et au final, leur disparition économique. L’UEFA ne cesse d’ailleurs pour justifier sa stratégie, de communiquer les chiffres de cet endettement sans cesse croissant qui aurait tendance à s’estomper légèrement avec l’introduction du FPF.

Toutefois, pour que le FPF fonctionne, l’UEFA souhaite que les clubs construisent des budgets équilibrés ou les dépenses seraient couvertes par les recettes (un déséquilibre de 45 millions d’euros, ramené dans le temps à 30 millions d’euros est néanmoins temporairement admis). De la sorte, en limitant les investissements de certains, l’UEFA pense pouvoir contenir une bulle spéculative dans le milieu du football professionnel.

Mais, en édictant de telles règles et en imposant un modèle économique qu’elle veut durable, l’UEFA commet des erreurs majeures. Outre, comme nous l’aurons compris, qu’elle défie de nouveau de manière effrontée le législateur et le juge européen, elle met en place un système qui ne tient pas compte de l’objectif affiché et qui est disproportionné par rapport aux intérêts en jeu.

Comment en effet justifier juridiquement que les dirigeants d’un club comme le PSG puissent être interdits d’investir dans leur entreprise alors même que quoi qu’on puisse dire de leur investissement en question, il est de nature à ne pas endetter le club ?

Comment peut-on justifier que, ce faisant, on renforce de facto et de jure (par une entente), les clubs s’étant déjà installés en haut de la hiérarchie du football européen depuis de nombreuses années ? Dans “Fair-play financier” il n’y a pas que “financier”, il y a aussi “fair-play”.

Comment peut-on également construire un tel arsenal juridique et financier, dont l’irrespect est supposé être sanctionné par des mesures dont la complexité n’a d’égal que l’absence de transparence?

Donc, en d’autres termes, l’UEFA bafoue, a minima, le principe de la liberté d’entreprendre, les règles du droit de la concurrence et les règles relatives à la liberté de circulation des capitaux pour empêcher in fine des dirigeants d’investir dans leurs clubs sans les endetter. Comprenne qui pourra. On voit en tout état de cause mal comment le juge pourrait se satisfaire d’une telle situation.

Si l’UEFA était un joueur, on lui dirait pour ce qui est du FPF: “bien tenté mais ce n’est pas cadré”. Au final, la situation est donc simple: soit l’UEFA revoit très vite les règles du FPF, soit elle terminera de nouveau devant les juridictions compétentes pour se faire condamner. Qui tirera le plus vite? Michel Platini ou le Président du club de…?

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