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Sports et business

Kevin Mbabu et le pari risqué de l’exil

8 octobre 2015

Les débuts réussis du Genevois de 20 ans en Premier League anglaise alimentent le rêve de rejoindre un grand club très tôt dans une carrière. Un choix à quitte ou double, avertissent entraîneurs et statistiques.

L’aventure de Kevin Mbabu a tout d’une belle histoire. Celle d’un jeune Servettien parti à 17 ans signer un contrat à Newcastle, qui se blesse, s’accroche, revient plus fort et finit titulaire contre Chelsea et Manchester City. Blessé aux ischio-jambiers lors de son dernier match, le Genevois de 20 ans est actuellement éloigné des terrains pour deux semaine. Trop peu pour que le latéral, qui a déjà marqué les esprits, retombe dans l’oubli.

Comme toutes les belles histoires, celle-ci suggère une morale. Saisis les opportunités qui se présentent à toi, pourrait-elle dire. Crois en tes rêves. Ne te fixe pas de limite. Des mantras qui parlent à la jeune génération, encouragée dans ses ambitions de gloire immédiate et lointaine par l’exemple de Kevin Mbabu, comme par ceux, plus anciens mais fondateurs, des Genevois Philippe Senderos et Johan Djourou, transférés à Arsenal à l’été 2003, alors qu’ils étaient âgés de 18 et 16 ans. Tous les deux sont parvenus à s’imposer durablement.

Marge de manoeuvre
Dans le football globalisé, le petit prodige du ballon rond ne se projette plus seulement en Super League, mais dans les grands championnats européens, comme la Premier League. L’intérêt est réciproque: les clubs estiment plus profitable de recruter des ados plutôt que de casser la tirelire, plus tard, pour des stars. «Les clubs ne se battent plus seulement pour recruter les meilleurs joueurs en vue d’obtenir les meilleures performances sportives. Ils se battent aussi pour recruter les plus prometteurs d’entre eux, alors même qu’ils ne sont encore que mineurs», soulignait, en avril 2014, Thierry Granturco, avocat dans le milieu du football, dans un blog du Huffington Post.

«Il faut bien comprendre que les grands clubs font un calcul économique très simple: il leur faut 500 joueurs à 6 ans et encore 100 à 14 ans pour sortir un pro. Et même si cela leur coûte 20 millions, ça reste plus rentable que de payer 50 millions, sans le salaire, pour un Raheem Sterling», expliquait l’ancien joueur de Liverpool Stéphane Henchoz, en juin, dans Le Temps. Le phénomène est tel que la FIFA a adopté, dès le milieu des années 2000, un règlement interdisant les transferts de joueurs de moins de 18 ans, mais prévoyant des exceptions: déménagement des parents non lié au football ou prise en charge de la scolarité et de l’hébergement par le centre de formation, par exemple.

Les clubs disposent ainsi d’une marge de manœuvre suffisante pour recruter très jeune. Et ce n’est pas du goût de tout le monde. «Oui, je suis défavorable à ces départs, martèle Gérard Castella, sélectionneur de l’équipe de Suisse M18. Nous savons quel est le meilleur parcours pour réussir: faire sa formation au pays, s’imposer en Super League, puis partir. Si c’est le chef matériel du club qui vient te chercher à l’aéroport, t’es mal barré. Il faut que ce soit le président. Et qu’il y ait des caméras.»

Des risques maximisés
Deux de ses joueurs évoluent à l’étranger depuis qu’ils ont 16 ans: Thomas Kunz, parti de Grasshopper pour Stuttgart, et Miro Muheim, transféré de Zurich à Chelsea. Ils n’ont pas été appelés pour les deux rencontres face au Danemark, fin septembre. La rançon de la dissidence? «Non, bien sûr que non, rassure Gérard Castella. Ils sont en difficulté dans leur club, où ils jouent peu. A cet âge-là, j’ai besoin de jeunes qui ont le rythme de la compétition. C’est ça, le critère.» Qui dit grand club, dit grosse machine. Avec les risques de s’y retrouver broyer que cela implique.

De fait, un certain nombre de Suisses partis avant leur majorité n’ont pas atteint les sommets escomptés. Débauché à 17 ans par Chelsea, Jonas Elmer n’a joué ni en Premier League, ni en équipe nationale A, même s’il a ensuite connu une carrière honorable entre la Challenge League et la Super League. A 27 ans, il joue aujourd’hui à Rapperswil, en troisième division. Frédéric Veseli, lui, a quitté le LS pour Manchester en 2008, où il a intégré le centre de formation de City avant de rejoindre United, sans y percer.

L’exception Kasami
Avant de revenir à Lugano, où il est titulaire en Super League cette saison, il a porté les couleurs de Port Vale et de Bury. Dans le fog des troisième et quatrième divisions anglaises. Hors du champ de vision de la Nati. Pourtant, il fait partie de la volée sacrée championne du monde M17 en 2009. Quatre de ses coéquipiers au Nigéria ont, depuis, fait le saut chez les grands: Ricardo Rodriguez, Haris Seferovic, Granit Xhaka et Pajtim Kasami. Ce dernier est le seul de l’entier du cadre national actuel à avoir laissé la Suisse derrière lui avant ses 18 ans, en signant un contrat avec la Lazio de Rome le jour de son 17e anniversaire. Même Valon Behrami, l’un des plus bourlingueurs des internationaux, a patienté jusqu’à sa majorité pour quitter Lugano et rejoindre Gênes. «Par le passé, nous avons fait une étude qui montrait que les joueurs qui partent après deux saisons pleines dans un championnat professionnel de leur pays d’origine réussissent mieux que les autres», rappelle Raffaele Poli, responsable de l’Observatoire du football, à Neuchâtel.

«En Angleterre, en Italie, les grands clubs ont tellement de joueurs -et d’argent pour en attirer d’autres- qu’ils s’investissent moins sur chaque individualité, estime Gérard Castella. Ça passe ou ça casse. En Suisse, les clubs n’ont pas autant de possibilités. Ils doivent faire progresser les gens qu’ils ont à disposition.»

Passe ton bac d’abord
Dans certains cas, c’est pourtant le départ à l’étranger qui offre le plus de garanties. Lorsque l’opportunité s’est présentée pour le fils de Roberto Pagliuca de rejoindre un grand club, Servette était en pleine période de transition entre les présidences de Majid Pishyar et de Hugh Quennec. «Ce qui attendait Kilian sur le plan scolaire n’était pas clair, avec des entraînements planifiés en matinée», se souvient l’ancien gardien de but genevois, pas prêt à accepter que son enfant sacrifie ses études sur l’autel du football. Quelques mois avant ses 16 ans, l’attaquant s’est donc engagé avec l’Olympique Lyonnais, dont la réputation du centre de formation et la proximité de Genève ont fait le différence. Manchester United «et d’autres clubs», dixit son père, étaient sur les rangs, «mais pas en Suisse». Trois ans plus tard, Kilian Pagliuca a obtenu son bac et joue en CFA (quatrième division), après avoir accompagné la première équipe dans sa préparation estivale. Son engagement avec les Gones court jusqu’au terme de la saison et Roberto Pagliuca est convaincu que, quoi qu’il advienne, l’expérience aura été positive. «Sortir d’un centre de formation prestigieux, c’est comme réussir un apprentissage dans une banque: ça ouvre des portes.»

Difficile de dire combien de joueurs suisses de moins de 18 ans évoluent à l’étranger, mais Gérard Castella a malgré tout le sentiment que la tendance est à la baisse. Tant pis pour le prestige et des conditions financières qui peuvent être alléchantes. Et Kevin Mbabu, dans tout ça? «C’est un garçon avec qui j’ai beaucoup échangé. Je n’étais pas favorable à son départ, reconnaît le sélectionneur national M18. Maintenant, je me réjouis sincèrement de ce qui lui arrive. Il a joué deux matches de Premier League, j’espère qu’il va jouer le troisième. Il n’en est qu’au début de l’histoire.»

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