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Sports et business

Interview de Me Granturco sur l’évolution juridique des transferts de joueurs

2 mai 2016

Maître Thierry Granturco est avocat spécialiste de droit du sport. Ancien footballeur de l’Olympique Lyonnais, il oeuvre dans le domaine du droit du sport depuis le début des années 90. Nous avons souhaité l’interroger sur sa vision d’avocat sur le marché actuel des transferts, notamment les mouvements de jeunes footballeurs.

Bonjour Me GRANTURCO, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

« Bonjour, je suis avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles depuis 1991 et entre autres expert juridique auprès de la Commission européenne. Je travaille dans le domaine du droit du sport depuis plus de 20 ans, pour des fédérations internationales, des fédérations nationales, des clubs, des dirigeants, des coachs, des joueurs, des syndicats et des agents.

Avant de rejoindre la profession d’avocat, j’avais joué à haut niveau puisque je suis un ancien de l’OL, ex-international scolaire et universitaire, champions de France UNSS et FNSU et j’ai joué avec la génération des Remi Garde, Bruno Génésio, Farid Benstiti, Alain Cavéglia, etc… que l’on retrouve aujourd’hui aux commandes dans des clubs de Ligue 1. Mais j’ai aussi du coup croisé sur les terrains, en tant qu’adversaires ou partenaires de sélections nationales de jeunes, les Boli, Desailly, Deschamps, Djorkaeff, etc…

J’ai par ailleurs été dirigeant de plusieurs clubs et je suis actuellement actionnaire et administrateur du RFC Liège et de la société ayant construit et exploitant son nouveau stade.

Enfin, j’ai passé à l’époque mes diplômes d’entraîneurs et j’attends aujourd’hui la validation de mon diplôme UEFA A.

Ce passé de footballeur m’a bien entendu aidé dans ma carrière d’avocat spécialiste de droit du sport, car je sais du coup ce qu’est un vestiaire ainsi que ce que pensent et vivent les coachs et les joueurs. Je sais comment travaillent les agents, comment fonctionnent les clubs et comment interviennent les instances dirigeantes du foot français, européen et international.

Et quand finalement je souhaite me reposer un peu, mes deux fils tous deux passionnés de foot me laissent peu de temps pour penser à autre chose qu’au ballon rond. »

 

Vous vous êtes très tôt intéressé à la question des transferts des joueurs. Pourquoi ?

« Tout d’abord parce qu’en tant que joueur, j’ai subi les affres de la situation pré-Bosman, lors de laquelle les clubs étaient tout puissants et pouvaient bloquer les joueurs au moindre faux pas. Ainsi, lorsque Raymond Domenech est devenu coach de l’OL et que j’ai voulu quitter le club pour pouvoir poursuivre mes études, il m’a été impossible de signer dans un autre club pro car l’OL refusait de produire ma lettre de sortie.

Quelques années après, alors que j’étais tout jeune avocat, la Commission européenne s’est engagée dans l’affaire Bosman. Lorsqu’elle a cherché des avocats connaissant le milieu du football, elle a été entre autres orientée vers moi. Je me suis donc retrouvé engagé dans un dossier qui allait devenir incroyablement important pour le milieu du football.

Dans la foulée, je me suis retrouvé aux côtés de l’UCPF, la LFP et l’UEFA pour négocier les nouvelles règles en la matière avec la Commission européenne et la FIFA.

Et de là, je me suis finalement retrouvé à travailler pour des clubs, des joueurs et des agents aux quatre coins de l’Europe sur des dossiers de transferts que tout le monde souhaitait blinder eu égard aux nouvelles règles en vigueur. »

 

Et les jeunes footballeurs dans tout ça ?

« Il y eut les concernant et pendant un certain temps, un flou artistique principalement alimenté par les instances du football français. Fort de son système de formation qui avait montré en 1998 et en 2000 tous ses atouts avec les titres de champion du Monde et de champion d’Europe, la FFF, la LFP et derrière elles les clubs pros français entendaient que leurs jeunes joueurs aient l’obligation de signer leurs premiers contrats pros dans leurs clubs formateurs. Ils s’appuyaient à ce moment-là sur la Charte du football professionnel français qui, effectivement, le stipulait de manière relativement claire.

Sauf qu’il n’y avait aucune raison que l’arrêt Bosman ne puisse pas non plus concerner les joueurs en formation.

C’est Olivier Bernard, jeune joueur de l’Olympique Lyonnais qui débloqua la situation. Stagiaire à l’OL, il voulut signer son premier contrat pro à Newcastle. Son club formateur, qui était du coup aussi le mien, s’y opposa fermement. Le joueur décida alors de s’attacher mes services d’avocat.

Il signa à Newcastle et nous sommes allés au contentieux avec l’OL. Contentieux qui fut de nouveau porté devant la Cour de Justice de l’Union européenne. Et cette Cour me donna de nouveau raison. Nous étions alors en 2010. Le joueur pu évoluer librement en Premier League, l’OL fut condamné aux dépens et la Charte du football professionnel français dû être adaptée en conséquence. »

 

Quels changements avez-vous pu constater depuis ces 2 arrêts déterminants pour l’économie du football ?

« Pour le football professionnel, il suffit aujourd’hui d’ouvrir les journaux ou de regarder la TV pour se rendre compte de ce que furent les conséquences de l’arrêt Bosman. Les joueurs, considérés comme des travailleurs, peuvent donc bénéficier des règles de l’Union européenne relatives à leur libre circulation et peuvent ainsi passer d’un employeur à un autre, c’est-à-dire d’un club à un autre.

Les clubs se battent donc pour recruter les meilleurs d’entre eux, pour former les meilleures équipes, gagner le maximum de compétitions, ramener aux clubs de plus en plus de sponsors eux-mêmes attirés par l’exposition médiatique de plus en plus importante du football dans le monde.

De telle sorte que l’arrêt Bosman a déverrouillé le marché du football qui est passé à une vitesse éclair du semi-professionnalisme des années 1980, au professionnalisme des années 1990, à un véritable business évènementiel financé par l’image depuis les années 2000. Et rien ne prédit que ce cercle économique vertueux pour certains, regrettable pour d’autres, prenne fin.

Certains continuent de regretter la situation des joueurs face aux règles des transferts. Il est vrai que 15 ans ont passé depuis leur adoption et qu’une révision ne serait aujourd’hui pas superflue au regard des développements récents du monde du football.

Mais que les joueurs et leurs syndicats n’oublient jamais qu’avant cet arrêt, la situation des joueurs dans les clubs était tout bonnement catastrophique. »

 

Et pour les jeunes ?

« Pour eux, l’arrêt Olivier Bernard a tout changé. Dès lors que les clubs pros ne peuvent plus empêcher leurs jeunes joueurs de partir sous d’autres cieux, ils leur font signer des contrats pros de plus en plus tôt. La raison en est simple : si le jeune joueur part sans avoir préalablement signé un contrat pro, le club formateur ne pourra prétendre qu’à une indemnité de formation dont le montant devra alors être calculée conformément aux règles de la FIFA.

Alors qu’avec un contrat pro, le club pourra prévoir une indemnité de transfert qui aura d’abord pour but d’essayer de décourager un potentiel club acheteur. Mais à défaut d’avoir pu empêcher le transfert, cette indemnité pourra éventuellement permettre au club formateur de trouver un intérêt financier au départ de son jeune joueur.

Bref, alors que dans les années 1980 et à un degré moindre dans les années 1990, il n’était pas rare de voir des clubs aligner des jeunes stagiaires ou aspirants voire parfois simplement des amateurs en Ligue 1, ceci n’a plus cours aujourd’hui. Ou de manière tout à fait exceptionnelle. Car tous les clubs pros cadenassent aujourd’hui les contrats de leurs jeunes joueurs pour éviter qu’ils ne partent chez leurs voisins, où il est bien connu que les pelouses sont plus vertes.

Et du coup, vous trouvez en France et ailleurs des clubs avec 25, 30, 40 pros sous contrat là ou quelques décennies plus tôt vous en aviez tout juste 15. Le problème, si je puis dire, est que le foot continue à se jouer à 11 et que par conséquent, au final, il n’y a pas plus de joueurs qu’hier qui font véritablement carrière. »

 

Concernant les transferts de joueurs d’autres continents, est-ce que cela a changé quelque chose ?

« Oui effectivement. A partir du moment où la Cour de Justice de l’Union Européenne a consacré la primauté du droit européen sur les règles de la FIFA et a fortiori sur celles de l’UEFA et de la FFF par exemple, alors il fallut convenir – et la Cour européenne l’a rappelé dans d’autres jurisprudences – que les accords internationaux signés par l’Union européenne avec par exemple des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique devaient aussi s’appliquer. Et si ces accords permettaient la libre circulation des travailleurs nationaux de ces pays, ils devaient conséquemment pouvoir travailler en Europe.

C’est ainsi que presque toutes les restrictions à l’arrivée de joueurs non ressortissants de l’Union européenne dans le football européen ont progressivement sauté. Et aujourd’hui, les effectifs des clubs pros sont du coup très exotiques. Le nombre de joueurs sud-américains ou africains dans les différents championnats nationaux est incroyablement élevé par rapport à il y a 15-20 ans. Et ceci n’a pas non plus vocation à changer à court et moyen termes.

Ceci a malheureusement donné lieu à beaucoup de dérives dans certains pays, puisque des personnes peu scrupuleuses ont fait venir en nombre de jeunes joueurs de pays principalement africains, leur promettant monts et merveilles et les laissant dans le plus grand dénuement en Europe une fois leurs stages non concluants effectués.

Les articles 19 et 19 bis du statut du joueur de la FIFA ont donc été adaptés et il est aujourd’hui a priori très compliqué de transférer un mineur.

Ces transferts sont en effet interdits sauf rares exceptions. Ils sont un peu plus souples d’un pays de l’Union européenne à un autre, mais restent tout de même exceptionnels. D’autant plus qu’entre temps une batterie d’études auraient démontré que plus un joueur est recruté proche de son domicile familial, plus grandes sont ses chances de réussite. »

 

D’autant plus que les recrutements ont un coût. Ceci explique-t-il l’apparition du TPO ?

« Si vous parlez des indemnités de transfert, le recrutement a effectivement un coût. Dont certains recherchent d’ailleurs encore la rationalité tellement les montants déboursés par les clubs pour s’attacher les services d’un joueur échappent parfois à l’entendement.

Mais ils ont aussi un coût en ce sens que recruter c’est aussi avoir une cellule de recrutement et, pour les grands clubs, des recruteurs sur tous les continents. C’est suivre dans la durée les jeunes joueurs prometteurs en pré-formation, parfois suivre certains d’entre eux en post-formation et enfin suivre régulièrement ceux déjà pros et qui pourraient venir renforcer l’équipe la saison suivante.

Toutefois, pour la plupart des clubs, un joueur n’est pas seulement un coût. Il peut aussi être une recette en merchandising si sa notoriété le permet et/ou il peut (devrais-je dire « doit ») permettre à son club d’empocher une indemnité de transfert à son départ.

Tout cela pour dire que les clubs se sont mis tout naturellement à spéculer sur la valeur de leurs joueurs. Le marché devenant très compétitif pour les clubs et potentiellement très attractif pour les spéculateurs, un espace s’est ouvert permettant à des pratiques telles que le Third Party Ownership (la tierce propriété en français) de se développer. Des clubs s’entendent donc avec des sociétés tierces, détenant les droits de certains joueurs, pour que ceux-ci soient placés dans leurs effectifs contre rémunération. Les clubs étoffent ainsi leurs équipes à moindre coût et rétrocèdent partie des recettes générées par ces joueurs principalement, mais non exclusivement, au moment de leurs transferts ultérieurs.

Les instances dirigeantes du football international, européen et national s’opposent actuellement à cette pratique. Certains comprennent, d’autres pas. Je souhaiterais pour ma part, en tant que professionnel du droit, juste attirer votre attention sur le fait que certains contrats de joueurs dont les droits ne sont pas détenus en TPO donnent aujourd’hui lieu à des solutions juridico-financières très proches du TPO. Il n’est pas rare effectivement de trouver des situations ou partie des droits à l’image du joueur est reversée à la société d’agents représentant ses intérêts, ou partie du droit des transferts subséquents du joueur est également reversée aux agents, ou des surprimes leur sont reversées en fonction des performances du joueur, etc… De telle sorte que nous nous retrouvons au final avec des constructions juridiques qui se rapprochent fort de ce que l’on peut retrouver dans un TPO.

Ce qui prouve, et ce sera ma conclusion si vous le voulez bien, que les règles relatives aux transferts de joueurs ont évolué ces 15 dernières années moins vite que le football lui-même et qu’il est donc temps de les remettre sur la table pour en rediscuter. Si possible avant qu’une affaire judiciaire ne pousse les différents intervenants à se mettre autour de la table. A bon entendeur… »

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