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Football: les incidents de Nice – Bastia ou l’échec de la seule répression comme moyen de réponse à la violence dans nos stades

20 octobre 2014

Samedi soir dernier, le match de Ligue 1 entre Nice et Bastia s’est clôturé par des débordements massifs de supporters qui ont donné lieu à de nombreuses arrestations et à plusieurs gardes à vue de supporters niçois. D’autres arrestations sont à attendre puisqu’une enquête a été ouverte dans le cadre de laquelle l’utilisation des caméras de surveillance du stade de l’Allianz Arena de Nice devrait permettre l’identification d’autres auteurs de violences.

Aucun supporter bastiais n’a pu être concerné par ces violences puisqu’ils étaient interdits de déplacement à Nice et que la préfecture des Alpes-Maritimes avait même été jusqu’à interdire ce jour là “le port, la détention ou l’utilisation de tout objet ou vêtement de couleurs du club du SC Bastia”.

En d’autres termes, les autorités auront été jusqu’aux limites de ce que permet la loi pour éviter ces débordements. Et probablement les ont-elles d’ailleurs dépassées tellement l’arrêté de la préfecture des Alpes-Maritimes apparait à bien des égards discriminatoire. Mais il n’aura fallu que le déploiement d’un drapeau corse par un joueur bastiais à la fin de la rencontre pour que le terrain soit envahi par des spectateurs niçois et que des échauffourées éclatent un peu partout sur la pelouse.

Le 24 novembre 2013, l’Allianz Arena de Nice avait déjà été le lieu de violences entre supporters niçois et stéphanois et de nombreux blessés avaient malheureusement été à déplorer.

Frédéric Thiriez, président de la Ligue de Football Professionnel (LFP) avait d’ailleurs tenu, suite à ces évènements, des propos particulièrement fermes.

“Ca suffit ! Ces quelques crétins qui s’intitulent supporters ne se rendent même pas compte qu’ils ruinent l’image du football. Une seule solution : la répression”.

Vraiment?

La violence des supporters a d’abord été appréhendée au niveau européen

Lorsqu’il est question des règles applicables aux supporters, il est important de rappeler que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en date du 4 novembre 1950 (Convention à laquelle la France est partie depuis 1974) protège comme étant fondamentales, la liberté d’aller et venir (article 5), la liberté d’expression (article 10) ainsi que la liberté de réunion et d’association (article 11).

En d’autres termes, autant de libertés dont les supporters jouissent dans l’expression de leurs soutiens à leurs clubs. Ils se déplacent pour aller les voir jouer. Ils font passer des messages à leurs joueurs, aux dirigeants de leurs clubs ainsi qu’aux adversaires d’un soir. Et ils s’unissent dans leurs actions en ce que le supporterisme est aussi et peut-être surtout un phénomène de masse.

Il a donc fallu attendre le milieu des années 1980 et la multiplication des débordements lors de certaines rencontres de football pour que les Etats européens s’accordent sur des mesures spécifiques, dérogatoires à ces libertés fondamentales.

C’est plus précisément le drame du stade du Heysel en mai 1985 (qui fit 39 morts et 600 blessés) qui accéléra l’adoption en date du 19 août 1985 de la Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives.

Cette Convention comporte différents principes qui ont été progressivement intégrés dans l’organisation du football en France. Ainsi, des actions de prévention telles que la séparation de supporters rivaux notamment par le contrôle rigoureux de la vente de billets, la mise en avant d’un volet socio-éducatif que les parties à la Convention sont invitées à mettre en place autour de la notion de fair-play et bien d’autres, relèvent de l’article 3 de cette Convention de 1985.

De même, la coordination au niveau de chaque Etat signataire (articles 2 et 3), la coordination au niveau international (article 4) et les aspects répressifs (article 5) ont également d’abord été envisagés au niveau européen avant de l’être aux différents niveaux nationaux.

La violence des supporters a ensuite été traitée au niveau national

En France, combattre la violence des supporters suppose l’implication de plusieurs acteurs, à savoir les administrations centrales (ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Sports ainsi que leurs services déconcentrés chargés de mettre en œuvre leurs politiques), les collectivités locales (particulièrement des communes chargées de la gestion des stades) et les fédérations sportives.

Ces institutions, outre leurs prérogatives classiques comme le maintien de l’ordre pour le ministère de l’Intérieur, ont été amenées à nouer des partenariats entre elles, voire directement avec les autorités sportives.

L’historique des dispositifs juridiques adoptés au fil des ans (des lois Alliot-Marie de 1993 à la loi LOPPSI 2 de 2011) montre en tout état de cause que le cadre juridique national a toujours été bâti selon un schéma mêlant un aspect judiciaire et un aspect administratif.

Aspects répressifs : au niveau judiciaire

Au niveau judiciaire, bien que de nombreuses infractions de droit commun soient prévues sur le plan pénal et permettent de sanctionner les comportements délictueux de supporters (violences, dégradations, rébellions, menaces, outrage public à l’hymne national et au drapeau tricolore…), la loi française a prévu des infractions spécifiques aux supporters.

Il est en effet apparu que l’arsenal répressif de droit commun n’était ni suffisant ni assez efficace pour lutter durablement contre les phénomènes de violences issus du supportérisme.

Ainsi, après de violents affrontements entre des supporters du PSG et les forces de l’ordre dans les tribunes du Parc des Princes le 28 août 1993, le législateur a souhaité compléter les mesures répressives “classiques” par de nouvelles dispositions plus spécifiquement consacrées aux supporters.

La première loi du 6 décembre 1993, dite loi “Alliot-Marie” a été renforcée en 1998 avant la Coupe du Monde organisée en France, puis en 2003 par la loi du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure et fut codifiée par une ordonnance du 23 mai 2006. Elle a finalement été complétée en 2011 par la loi LOPPSI 2.

Autrement dit, les agissements répréhensibles des supporters peuvent relever du droit commun (au niveau du déclenchement d’une action civile et/ou pénale) sauf si certaines infractions – mais uniquement si elles revêtent une qualification pénale – sont spécifiquement prises en compte par le code sportif. Auquel cas, les sanctions sont plus strictes que dans le cadre du droit commun en raison de leur survenance dans un cadre où, en théorie, les incivilités, les violences et les discriminations ont encore moins leur place qu’ailleurs.

Le ministère public peut néanmoins choisir de poursuivre sous la qualification qu’il considère la plus adaptée et peut préférer le droit commun aux dispositions spécifiques du Code du sport.

En tout état de cause, une fois le mis en cause renvoyé devant le tribunal compétent, la victime directe de ses agissements, mais également les fédérations sportives agréées, les associations de supporters agréées, les associations de prévention de la violence agréées et toute association de lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme de plus de 3 ans peuvent se constituer partie civile (article L-332-17 du Code du sport) et peuvent alors demander des dommages et intérêts.

Il est néanmoins important de préciser que, même en l’absence de poursuites par le procureur de la République, les fédérations et associations précitées peuvent déclencher l’action publique et exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions mentionnées aux articles L-332-3 à L-332-10 du Code du sport (art. L-332-17 du Code du sport).

Ces actions sont portées, selon les cas, devant les tribunaux de police (contraventions) ou les tribunaux correctionnels (délits), avec possibilité d’appel devant la cour d’appel territorialement compétente. Elles peuvent aussi, dans le cas ou le droit aurait mal été dit, faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation.

Finalement, le législateur a également institué une peine complémentaire d’interdiction de stade. Cette interdiction (article L332-11 du Code du sport), qui s’est appliquée dans un premier temps aux seules infractions commises à l’intérieur des stades puis s’est étendue à celles commises « à l’extérieur de l’enceinte, en relation directe avec une manifestation sportive », est, par nature, judiciaire. Elle est subordonnée d’une part au fait de commettre une infraction et d’autre part, à la condamnation de son auteur. Elle est donc davantage une mesure répressive qu’une mesure imposée à titre préventif. Cette peine complémentaire d’interdiction existe encore aujourd’hui et ne peut excéder cinq ans.
Aspects répressifs : au niveau administratif

Au niveau administratif, des interdictions de stade peuvent également être pronconcées par les préfets. Ces mesures ont été́ introduites en droit français par une loi du 23 janvier 2006 (relative à la lutte contre le terrorisme) créant un article L-332-16 dans le Code du sport.

Dans sa rédaction initiale, le texte instituait une mesure d’interdiction administrative de stade permettant aux préfets, par arrêté, d’éloigner des stades et de leurs abords toute personne qui, par “son comportement d’ensemble à l’occasion de manifestations sportives […] constitue une menace à l’ordre public”.

Cette loi de 2006 a été rendue plus stricte par la loi du 2 mars 2010 (renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public) puis par la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011:

Finalement, par les articles 60 et 61 de la loi LOPPSI 2 du 14 mars 2011, le législateur a souhaité créer une peine d’interdiction de déplacement ainsi qu’une restriction de la liberté́ d’aller et de venir ayant vocation à empêcher certains supporters de se rendre sur les lieux du match.

Il ressort de l’article 60 de la LOPPSI 2 (codifié à l’article L-332-16-1 du Code du sport) que le ministre de l’Intérieur peut, par arrêté:

“interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public”.

L’article 61 de la LOPPSI 2 permet quant à lui au préfet de restreindre, par arrêté, la liberté d’aller et de venir des supporters (article L-332-16-2 du Code du sport). Ce sont donc les matchs ou événements sportifs « à domicile » qui sont ici visés. L’arrêté d’interdiction ou de restriction de la liberté d’aller et de venir doit tout de même être «limité dans le temps» (pas de durée maximale précisée) et ne s’applique que sur un territoire et dans des circonstances précises.

Et la prévention dans tout cela ?

Nous aurons compris que le législateur français a été diligent et a adopté le corpus législatif nécessaire au traitement de la violence des supporters. Ces textes sont nombreux, complets et leur caractère répressif s’est de surcroît considérablement renforcé avec le temps.

La politique de gestion du hooliganisme est en France relativement efficace. Les forces de l’ordre font très bien leur travail. Les juridictions civiles, pénales et administratives font également très bien le leur. Les autorités publiques sont vigilantes et réactives.

En 2010, une division nationale de lutte contre le hooliganisme a même été créée.

Or, la violence dans les stades a, malgré tout, continué à se développer au fil des années, au point de même gangrener le football amateur comme le constate notamment l’Observatoire des comportements de la Fédération Française de Football (FFF).

Alors comment expliquer cet état de fait ?

Sûrement en partie parce que le dialogue entre autorités publiques et supporters d’une part et entre autorités du football (essentiellement FFF et LFP) et supporters, d’autre part, est historiquement quasi inexistant.

La France est à titre d’exemple l’un des rares pays européens à ne pas – ou mal – appliquer la réforme de l’UEFA imposant la présence d’un officier de liaison supporter, supposé être un travailleur social jouant le rôle d’intermédiaire entre le club, les supporters, la police et les autorités.

Chez nous, les supporters sont peu organisés, pas toujours identifiables et peu associés à la vie de leurs clubs. Ce sont ces aspects qu’il convient de privilégier dans les années qui viennent.

Car en France, et M. Thiriez en conviendra, la répression est de mise depuis de nombreuses années. Par contre, que les clubs se rapprochent de leurs supporters comme les clubs espagnols se sont rapprochés de leurs socios, qu’ils les constituent en communautés comme cela peut exister en Angleterre, qu’ils les responsabilisent comme cela a pu être fait en Allemagne, constitueraient des avancées majeures dans le traitement de la violence des supporters.

En Allemagne, une politique globale (la « Fans projekte ») a été mise en place dès les années 1990 mêlant répression et prévention. Or la répression a été chez nos voisins allemands d’autant plus crédible et efficace qu’elle a fait suite au dialogue.

Ils ont su le faire. Il n’y a pas de raison que nous ne sachions pas le faire à notre tour.

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